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L'arbre de nuit

L'arbre de nuit

Titel: L'arbre de nuit Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François Bellec
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difficilement frayé un chemin jusqu’au portail. Sous leurs indispensables ombrelles, fidalgos l’épée au côté et dames de condition apprêtées à outrance arrivaient à grand tapage de chevaux et de palanquins. Servantes, pages et esclaves transportaient tout un attirail de dévotion de bon ton, chaises chinoises en bois doré, tabourets, sacs, aumônières et coussins de velours, mouchoirs, missels, éventails, nattes et tapis persans pour la prière. Comme à Alfama mais ici plus que partout ailleurs, le combat de bourdons, de cloches et de carillons était assourdissant. São Francisco de Assis tenait tête dans les graves au Bom Jesus de l’autre côté de l’esplanade, et aux voix impérieuses des églises jumelles Nossa Senhora da Serra et SantaMisericórdia en direction de la lagune. Santo Agostinho, São Tomé, São Paulo, São Roque, São Lázaro et Santo António saluaient elles aussi un nouveau jour du Seigneur. Dans une tessiture féminine plus haute et plus légère, un chapelet de sanctuaires et de chapelles conventuelles participait à la fête au nom de Santa Luzia, de Santa Maria Magdalena, de Nossa Senhora da Graça et de Nossa Senhora du Rosário. Les Cinco Chagas et la Cruz dos Milagres se mêlaient aussi au concert, ponctué des tintements frénétiques des chapelles qui apportaient la religion dans les hospices et les prisons. On entendait très loin comme en écho Nossa Senhora do Cabo apportée par le vent de mer et les cousines campagnardes des faubourgs proches, Nossa Senhora de Guadalupe et Madre de Deus.

    Le parvis était étroit, enserré par les murs du couvent de São Francisco. Multipliée par les domestiques et leurs bagages, la cohue aurait annoncé un caravansérail interlope plutôt qu’un lieu de culte. Contournant les chrétiens avérés, les cristãos novo s, les nouveaux convertis, vêtus de coton blanc, leur long chapelet de bois autour du cou et leur certificat de confession à la main, revendiquaient leur foi nouvelle en s’efforçant de ne pas déranger.
    Les fidèles venus des belles demeures progressaient avec solennité, multipliant les gestes de courtoisie, accompagnés de l’appareil ostentatoire de leur maison au grand complet. Juchées sur leurs chapins instables, les dames cheminaient à pas menus, guidées de part et d’autre par leurs gens attentifs, tenant avec dévotion leur chapelet de grains d’or et de perles, fardées, couvertes de brocarts de soie brodés d’or, tintinnabulantes de diadèmes, de colliers, de boucles et de bracelets. Toutes les pierres de l’Inde scintillaient sous la transparence ombreuse de leurs longues mantilles en gaze noire. Dans les recoins secrets des montagnes de Ceylan et de Birmanie, les doigts cornés des chasseurs forcenés de rubis avaient caressé avec un respect religieux les gouttes écarlates du sang pétrifié d’Asura. Les yeux de la déesse Saitya vivaient sans s’éteindre dans les saphirs du Vijayanagar teintés en bleu profond par le cobalt. La charge active de ces pierreries échappait auxOccidentales, trop matérialistes et trop superficielles pour percevoir leurs effluves démoniaques. Chaque dimanche, l’idolâtrie indienne horrifiante s’introduisait subrepticement dans l’église de Dieu, cramponnée aux parures des femmes comme une passagère clandestine.

    Sous la voûte soutenant la tribune, les hommes se bousculaient un peu plus pour apporter l’eau bénite aux dames. La foule était au-dedans aussi confuse, agitée et bruyante qu’au-dehors, traversée encore par quelques palanquins obstinés à transporter leurs passagères jusqu’à l’exact emplacement de leurs oraisons. Sous ses plafonds en stuc et ses décors sculptés, la nef était d’une ordonnance stricte, enrichie par des peintures décrivant la vie du saint patron de part et d’autre du maître-autel baroque.
    L’exubérance de l’art religieux goanais éclatait sur la paroi de l’abside sculptée et dorée depuis le pavement jusqu’à la voûte. Deux alignements de pankas se balançaient au-dessus des têtes sous l’effet d’appareillages de cordes et de poulies pour brasser mollement l’air étouffant d’encens et de parfums. L’assistance ordinaire restait debout, piétinant les dalles tombales couvrant les restes des premiers prieurs franciscains. Les saris des servantes indiennes tranchaient sur l’uniformité austère de l’assistance. La morosité noire des habits des religieuses, des vêtements des

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