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L'arbre de nuit

L'arbre de nuit

Titel: L'arbre de nuit Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François Bellec
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pour en colorer chaque élément d’une belle harmonie de noir, de gris ou de blanc et en multiplier les combinaisons à l’infini. Lors de trouées fugitives, le voile se déchirait sur un instant de ciel, révélant un bleu nuancé, en dégradé subtil passant du cobalt pur au zénith à un bleu céruléen pâle au voisinage de l’horizon. Puis l’ouverture se refermait aussitôt sur cet échantillon de beau temps.

    Gonflée par le vent de sud-ouest, une énorme houle se dressait en approchant du rivage et s’écrasait en rouleaux grondants sur le cordon infini de sable doré soulignant le littoral indien. Les lascars eux-mêmes étaient entrés en hivernage. Ces esclaves provenant de la grande île de Sào Lourenço étaient recherchés pour leur capacité diabolique de franchir les barres dans les deux sens. Attendant l’instant propice, ils lançaient brusquement leur minuscule chelingue en écorcecousue à travers les déferlantes. Ils les franchissaient de justesse à coups rapides de pagaies, riant à pleines dents de la terreur de leurs passagers blêmes, trempés par les embruns. Ces démons noirs avaient renoncé à leur jeu infernal. L’océan était impraticable et les fous qui auraient imaginé prendre la mer ou tenter d’aborder en auraient été empêchés par des barres de sable érigées en travers des passes par les courants. Coupée du reste monde, l’Inde faisait le gros dos contre la mousson.

Un vol bigarré de jeunes filles en couleurs vives traversa le cloître trempé, poussé vers un catéchisme par deux pies-grièches en robes blanches et cornettes noires de religieuses.
    Jean lança brusquement :
    — Et les Indiennes ? Je ne vous ai pas encore interrogé sur les Indiennes !
    Antão se tourna vers le père de la Croix.
    — Aujourd’hui, c’est notre jour, Étienne. Tu répondras sans doute avec un meilleur argumentaire que moi. Je n’ai aucune opinion sur ce sujet, à peine débarqué, et je… – il hésita –, je crains de médire si je me fie à ce que l’on m’a rapporté pendant le voyage.
    — J’ai peur qu’il n’y ait point médisance dans ce que l’on t’a rapporté, Antão.
    Le père réfléchit un long moment.
    — Que dire des Indiennes à un naturaliste curieux ? Et des métisses qui les multiplient. Je répondrai par une autre question. Comment inculquer des règles de vie chrétiennes à des femmes dont aucune n’est plus vierge passé douze ans voire moins ?
    — Moins !
    — On conduit des filles de huit ans se faire déflorer en cérémonie dans des pagodes consacrées à l’amour. L’idée fixe des Goanaises et leur principale activité est de se consumer en volupté.
    — On m’a prévenu en effet, intervint Antão, que l’idée que cela est mal et attriste le Seigneur est proprement incompréhensible dans leur culture.
    — D’autant qu’ils érigent des phallus en érection parmi leurs idoles et que des manières de vestales servantes des dieux jouent un rôle ambigu dans leurs temples. Les devédassi sont des balladeiras, des bayadères lascives. Ici, tout incite à la luxure.
    — Pourquoi ici plus qu’ailleurs ? demanda François.
    — Les philosophes et les médecins sont d’accord pour attribuer cette lubricité excessive au climat chaud qui amollit les corps et échauffe les esprits. Es-tu de cet avis ?
    — C’est très probable. Encore que la chaleur soit peu propice à l’effort physique.
    Ils reculèrent vers la paroi de la galerie car un grain brutal les éclaboussait. Jean en vint au fait.
    — Sans t’offenser, frère Étienne, ce doit être bigrement difficile pour un prêtre d’être fidèle à son vœu de chasteté dans l’environnement quotidien de vos catéchumènes.
    — Nous sommes coutumiers de cette question, Jean. Elle n’est même pas perfide parce que nous consacrons beaucoup de temps à en débattre au séminaire. D’autant plus que les femmes sont l’un des paramètres majeurs de la vie sociale goanaise. Bien sûr que c’est difficile.
    — D’autant plus que les femmes sont bien faites en Inde comme nous l’avons constaté tous les deux. François surtout, ajouta Jean. Les Bengalies sont réputées pour leur beauté sculpturale. Les métisses et les quarteronnes surtout, de mères chinoises, japonaises, javanaises ou indiennes sont diaboliquement belles.
    — Comme si Dieu avait voulu faire comprendre à nos vieux peuples introvertis d’Europe les promesses du mélange des

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