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L'arbre de nuit

L'arbre de nuit

Titel: L'arbre de nuit Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François Bellec
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nature.
    — Vois-tu, Manuel, mon maître à moi m’a initié à Dieppe au secret des aiguilles sans savoir quel pouvoir les anime. Aucun savant au monde ne connaît le secret de ma pierre noire ni sa relation cosmique avec la brillante étoile des marins.
    Le gamin le regardait faire, la bouche entrouverte, captivé par la dimension du phénomène mystérieux investissant ce bout de ferraille. Lui, Manuel Brochado, un apprenti forgeron ne sachant ni lire ni écrire partageait un fabuleux secret avec les savants. Il avait même la chance insigne d’y participer un peu chaque jour.
    — Cette aiguille de fer dont je ranime le souffle après l’avoir consumé sur ton fourneau va s’orienter à nouveau en direction de l’étoile guide du monde. L’unique astre immobile dans le ciel parmi tous ceux que nous apercevons sans pouvoir les compter parce qu’ils sont innombrables.
    — Quand on ne voit pas le ciel, l’aiguille ne la voit pas non plus. Comment elle sait ?
    — Quand l’étoile sera masquée par des nuages ou effacée par la lumière du jour comme elle l’est à cet instant, l’aiguille la désignera encore, au centre du septentrion. Elle est là !nous dira-t-elle, comme si elle projetait le fluide contenu dans ma pierre jusqu’au pivot de la voûte céleste.
    — C’est quoi le fluide ?
    — Le fluide ? On oublie, Manuel.
    — Comment tu l’appelles cette étoile ?
    — L’étoile des marins a des noms dans toutes les langues. Estrela do Norte, Étoile polaire, Stella Maris, Tramontane. Les musulmans l’appellent Gàh.
    — Elle ne bouge jamais ?
    — Presque pas. Le ciel tourne autour d’elle.
    — Pourquoi elle ne tombe pas, alors ?
    — Ça, Manuel, c’est encore plus compliqué que le fluide. Allez, apporte le fil et les aiguilles. Nous allons fixer le fer aimanté sur la rose.

    Quand il estimait que l’aiguille était suffisamment chargée de potentiel magnétique, il remontait l’ensemble, équilibrant la rose de papier de quelques grains de cire d’abeille. Il restait à comparer l’instrument au compas étalon apporté de la caraque. Tout étant achevé, il pouvait sceller à nouveau la vitre à la cire à cacheter, consigner les détails des opérations effectuées et noter la variation résiduelle sur un livre journal. Chaque opération lui prenait environ deux heures, sauf quand un défaut particulier exigeait de remplacer une vitre cassée, de renforcer une boîte disjointe, de changer une rose détériorée dont il avait quelques réserves ou de replacer correctement en la collant à la gomme arabique la cupule en agate dans laquelle se logeait la pointe du pivot. Chaque vendredi, maître Salanha venait vérifier le registre et il lui commentait les observations particulières de la semaine. L’échange des compas rectifiés et du nouveau lot à vérifier s’effectuait sous le contrôle de deux commis. Une dizaine de forçats manutentionnaires transportaient chacun une des boîtes magiques comme un Saint-Sacrement.

    Le mardi 23 juin, la comparaison de son douzième compas révéla une étrange anomalie. Il venait de se relever, préoccupé, se massant les reins endoloris d’être longtemps resté penchésur la table, quand Margarida apparut à la porte de sa véranda emmitouflée dans son châle blanc. Il ne l’avait pas revue depuis près de trois semaines. Elle l’aperçut debout derrière sa fenêtre et lui fit un geste de la main. Il lui répondit d’un petit signe discret et se dirigea vers la galerie.
    Quand il la retrouva du regard, elle était déjà arrivée au bout du balcon. Elle avait couru pensa-t-il et il eut pour elle une bouffée de tendresse. Comment pouvait-il si aisément se passer d’elle, en faire abstraction, alors qu’elle remplissait d’un coup l’univers par sa seule présence ? Pouvait-elle être simultanément incrustée dans sa vie et assignée à rester en dehors ? Elle semblait mélancolique et cela pouvait expliquer qu’elle fût restée invisible tout ce temps. Il l’imagina à nouveau prisonnière de la société artificielle de Goa. Que convenait-il de lui dire ? À quel titre pouvait-il se mêler de la vie de doña de Fonseca Serrão, la courageuse et digne jeune épouse d’un riche notable goanais possessif et jaloux ? Elle lui sourit. À coup sûr, ses yeux étaient tristes, mais son sourire était radieux.

    — Bonjour senhora !
    Elle le reprit :
    — Vous m’avez appelée Margarida au moment où

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