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L'arbre de nuit

L'arbre de nuit

Titel: L'arbre de nuit Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François Bellec
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il faut rapporter la durée de la pénitence aux six semaines méritées par le prêtre qui aurait laissé par négligence une souris grignoter une hostie consacrée.
    — Ma parole ! Vous vous moquez des mandements de l’évêque !
    — L’ironie ne nous est pas interdite, mon frère. Les mandements précisent enfin que si l’affaire vient à être connue du peuple, le clerc sera démis.
    — L’Église n’aime pas laver son linge en public. L’ironie ne m’étant pas interdite non plus, je souligne au passage la recommandation de l’évêque de pécher plutôt à l’insu des fidèles. En quoi consistent ces pénitences ?
    — Elles sont laissées à l’intime conviction du pénitent. Il peut se retirer dans le désert, se flageller, laisser pousser sa barbe comme Albuquerque, se priver de laitages ou réciter chaque matin une douzaine de Pater Noster .
    — Mais tu es d’une impiété redoutable, frère Étienne ! Pour ta pénitence, dis-moi si c’est chose courante.
    — Secret de la confession !

    Ils rirent tous pour se détendre car, malgré la légèreté de leurs propos, les deux prêtres étaient rongés par une obsession. Des légions de femmes et de filles lascives allaient et venaient par milliers hors des confessionnaux. Leur vie était entièrement dévouée corps et âme à la transmission du message chrétien. Ils avaient prononcé des vœux de renoncement à des jouissances auxquelles les hommes sont attachés par-dessus tout. Ils avaient besoin de cette discipline mentale pour accomplir leur mission. Il n’était pas méritoire d’être pauvre parmi les pauvres car Dieu ne leur avait pas donné la richesseen naissant. Ni obéissant puisqu’ils adhéraient naturellement à la règle qu’ils avaient choisie. Il était moins facile d’être chaste parmi les luxurieuses, puisque le créateur leur avait conféré l’instinct de reproduction nécessaire à la pérennité de son œuvre.
    Le père de la Croix conclut dans un sourire :
    — À Goa, ceux qui avouent le péché de chair n’ont pas le sentiment d’avoir failli. Ils ont cédé à une irrésistible tentation divine.

La mousson avait pris son rythme. Chaque jour et chaque nuit, des averses ou des grains violents mais de courte durée s’écrasaient en rafales sur la ville. Le reste du temps, les accalmies étaient entrecoupées de passages pluvieux ordinaires. L’eau tombait alors en pluie fine avec une obstination tranquille, parce qu’elle avait l’éternité pour cela. Parce qu’il fallait bien débarrasser le ciel de toute cette eau accumulée avant qu’il s’effondre tout entier sur les têtes avec les saints, les anges, les prophètes, les bodhisattvas et les dix avatars de Vishnou.

    François était entré dans la routine de son activité, modulant ses horaires pour rejoindre son atelier et rentrer rue du Crucifix quand il ne pleuvait pas trop. Son travail consistait d’abord à démonter les compas, c’est-à-dire à faire sauter de la pointe d’un couteau les joints de cire scellant la vitre, à retirer la rose et à désolidariser délicatement l’aiguille qui lui était fixée par des fils de soie. Il en brossait la rouille, la nettoyait à clair et la redressait au besoin avant de la confier à Manuel qui la saisissait par une extrémité à l’aide d’une pince et la portait au rouge sur le fourneau. Elle perdait alors son aimantation. Sous l’œil de son nouveau maître, le petit forgeron la plongeait dans une écuelle d’eau où, dans unchuintement bref, le fer brusquement durci sublimait son incandescence en petit flocon de vapeur. Totalement refroidie, François la reprenait alors en charge, vérifiait une fois encore sa rectitude et son aspect puis la polissait longuement d’une peau d’isard. L’ayant posée sur le marbre, il commençait alors à la régénérer.
    Il la frottait lentement de sa pierre, tout au long, de bout en bout, à plusieurs reprises, toujours du milieu vers la pointe. Nul ne savait quel principe transférait la vertu de la pierre magnétique à l’aiguille des marins mais il ressentait au bout des doigts un contact charnel entre le minéral, aimant ou amant, et le métal. Il accompagnait de toute son âme l’union des deux éléments nobles, leur attraction sensuelle, profonde comme un acte d’amour. François avait le sentiment qu’en redonnant la vie aux aiguilles, son geste participait au grand mystère du renouveau périodique de la

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