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L'arbre de nuit

L'arbre de nuit

Titel: L'arbre de nuit Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François Bellec
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sangs. Sous la pluie leurs vêtements déjà naturellement suggestifs les enduisent de couleurs plutôt qu’ils ne les habillent.Vous les avez vues. Pendant la mousson, les femmes vont quasiment nues.
    — Et vous résistez stoïquement à ces tentations colorées grâce à la prière et aux mortifications ?
    — Les jésuites pratiquent seulement la mortification de la volonté.
    — Ne noie pas le poisson, Étienne. Résistez-vous ?
    — La plupart du temps oui, et bien plus qu’on ne le dit. Es-tu satisfait ?

    Jean se tourna vers Antão qui restait silencieux, l’air sombre, en se mordant les lèvres. La pluie crépitait sur la cour et ils avaient forcé la voix pour s’entendre.
    — Pardonnez-moi d’interroger si directement les religieux que vous êtes. Mon incorrection vous agresse dans votre quête personnelle mais il se trouve que je fais profession de curieux.
    — Ne t’excuse pas. Ton questionnement est légitime. L’Europe se torture pour s’approprier les clés de notre réussite commerciale mais elle se fiche de la progression de l’évangile dans notre empire. L’œuvre de nos frères est plus difficile que les transactions des marchands qui n’ont qu’à se baisser pour ramasser leurs biens. Dieu accumule les obstacles devant ses serviteurs. Il les soumet à la tentation pour mieux les éprouver.
    — C’est bien parce que je suis convaincu de la dimension spirituelle de l’œuvre portugaise en Inde que j’ai bravé un voyage infernal. Et François aussi il me semble.
    — Jean a raison. Je ne suis pas un chrétien très fervent mais je comprends la dimension de votre épreuve parmi ces femmes en fleur.
    — Et les conditions de notre évangélisation vous bouleversaient au point d’être venus nous voir ?
    — Tu te moques mais pour être franc, cela ne nous empêche pas de dormir, admit Jean. Nous sommes ici pour des questions très matérielles. Mais puisque le hasard...
    — Disons la Providence, mon frère.
    — Puisque la providence, si tant est qu’elle ait le temps de s’intéresser à nos misérables personnes, nous a mis enrelation, je gaspillerais une occasion inespérée si je ne vous tarabustais pas un peu.
    — Tarabuste, mon ami.
    — Donc, il est admis que vous cédez quelquefois à la tentation. Cela me semble parfaitement naturel. Me rassure plutôt. Je vous préfère pécheurs que sodomites.
    — L’alternative mérite réflexion. Mais au fait, as-tu toi-même déjà fréquenté des Goanaises, mon frère prêcheur ?
    — Moi, oui, avoua François en levant la main. Je l’ai rencontrée le premier jour où j’ai arpenté les rues de Goa, solitaire et sortant de prison. C’est une petite marchande. Elle se prénomme Asha. Elle est chrétienne, a-t-elle eu soin de me préciser. Je la vois régulièrement car elle est heureuse que je reste en relations suivies avec elle.
    — Voilà. Tu as tout dit. Elle est chrétienne. Certainement convaincue, elle garde le diable au corps. C’est la raison pour laquelle nous n’acceptons pas de nonnes indiennes ni métisses.
    — Moi qui débarque en Inde, je m’y suis longuement préparé mentalement, avec l’aide de Jésus. Après tout, c’est son intérêt. Mon temps serait mieux occupé à le servir qu’à me défendre des perversités alentour.
    Antão avait réagi très spontanément. Étienne, qui l’observait avec attention, acquiesça.
    — Nous avons bien sûr élevé des précautions de principe. Par exemple, ne jamais rester seul en présence d’une femme mais être toujours en compagnie d’un frère ou sous l’œil d’un témoin.
    — C’est une sauvegarde de bon sens, pragmatique et simple.
    — Oui. Reste que nous devons rencontrer des centaines de catéchumènes et de pénitentes chaque jour. Nous ne pouvons pas raisonnablement nous protéger à longueur de semaine contre nous-mêmes.
    — Alors, qu’advient-il des prêtres qui succombent à la tentation ?
    — Les mandements de l’évêque à l’issue de notre premier concile provincial étaient clairs là-dessus. Nous en sommes imprégnés.
    Levant au ciel des yeux de faux dévots, Antão et Étienne récitèrent en chœur :
    — « Si l’évêque ou le prêtre connaît charnellement celle qui se confesse à lui de ses péchés, ou sa fille spirituelle par pénitence, cet évêque fera pénitence quinze ans et le prêtre douze. »
    Étienne ajouta un commentaire :
    — Pour apprécier la gravité de la faute,

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