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L'arbre de nuit

L'arbre de nuit

Titel: L'arbre de nuit Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François Bellec
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vivres, de cruches de lait, de sacs de riz, de paniers de citrons, de mangues et de tamarins. Il s’était fait refouler avec véhémence de plusieurs temples dédiés à Bhagavati, la déesse de Goa, aux cris de farangi ! Il avait fui un jour, mi-affolé mi-riant.
    — Un yogi décharné m’a couru dessus. Il était nu et couvert de cendres, épouvantable comme un mort échappé d’un bûcher funéraire.

    Jean ne faisait pas qu’herboriser à Bicholim. Il logeait régulièrement chez un Indien de la caste des mainatos, les blanchisseurs, ces artistes capables pour deux bazarucos de vous rendre une paire de chemises plus blanches que neuves et crêpées menues comme un nuage. Ils étaient convenus autour de quelques pièces de monnaie qu’on lui donnerait aussi à souper mais il était apparu dès le premier jour que l’hospitalité indienne s’étendait au-delà de l’attente d’un voyageur occidental.
    — Il me mena à coucher dans un appentis derrière la maison.
    François le coupa et prolongea la phrase d’une voix traînante et modulée, comme s’il lisait un poème :
    — Le jardin ombré de palmes était planté d’hibiscus et de gardénias. Son centre était marqué par un buisson de basilic. Au fond, un appentis caché dans une ombre propice s’ouvrit sur toutes les voluptés.
    Jean sursauta.
    — Pourquoi dis-tu cela ?
    — Parce que, mon cher Jean, j’ai un peu l’habitude des intérieurs indiens et de leurs appentis complices. Ce peuple a préservé le jardin d’Éden. Je crains que notre civilisation ne soit occupée à le saccager au nom de la paix du Christ.
    — Le fait est que j’avais à peine jeté mon chapeau qu’une Indienne poussa vers moi une fille d’un très jeune âge, en me faisant comprendre par des gestes sans équivoque que je devais avoir affaire à cette enfant. Elle pouvait avoir treize ans. Comme je me récriais, mon truchement m’affirma d’un air préoccupé que j’offenserais gravement et inutilement cette famille si je refusais leur fille. L’enfant avait fondu en larmes et la mère se tordait les bras de contrariété.
    — Alors ?
    — Kishori a peut-être seize ans après tout.

    Les collectes botaniques pendaient en nappes suspendues à des fils tendus à travers le grenier transformé en séchoir parce que leur logeur-médecin se passionnait pour ce regard occidental sur la pharmacopée indienne. Jean, qui noircissait d’apostilles les marges des Coloquios dos Simples , discutait tous les soirs de vertus médicinales avec Arunachalam, et ils ne semblaient ni l’un ni l’autre devoir jamais se lasser de commenter Garcia da Orta. Quelques curiosités étaient ramenées rue du Crucifix, leurs racines prises dans une motte de terre grasse entortillée dans une feuille de bananier. Jean espérait les replanter devant la chambre du roi si elles survivaient au voyage. Il était déjà parvenu disait-il à acclimater des plantes américaines dans les jardins du Louvre.

Quand il ne travaillait pas à ses compas, François courait les marchés. Il passait quelquefois voir Antão de Guimarães à la maison professe. Le jésuite s’était mis avec ardeur au chinois. Il était enthousiaste à l’idée de partir dans les premiers jours de la nouvelle année rejoindre la mission São Paulo de Macau. Mettre ses pas dans ceux de Francisco Xavier et du père Matteo Ricci le confortait dans sa vocation. François qui se cherchait un avenir était un peu jaloux de cette plénitude spirituelle.
    Grâce au sauf-conduit pour se rendre à bord de Monte do Carmo qu’il avait conservé, son tropisme marin le faisait traîner surtout à la grande Ribeira. On avait commencé à y réarmer la caraque et les galions Sào Marcos et Sào Joào Evangelista . C’étaient les deux meilleurs ou plutôt les moins mauvais des six parvenus à Goa. Les autres étaient en trop mauvais état pour atteindre Lisbonne sans couler bas. Leur dégradation gravissime ne contrariait pas les intendants car ils n’avaient pas été construits dans l’espoir de durer très longtemps. D’une certaine manière il était heureux que les lois de la nature fissent aussi bien les choses, en équilibrant au mieux les pertes humaines et l’usure des navires. Sinon, l’arsenal aurait été bien incapable d’affecter aux caraques deretour des effectifs conformes aux normes de la Carreira. Même en répartissant sur les coques saines les matelots des quatre galions trop délabrés pour

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