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L'arbre de nuit

L'arbre de nuit

Titel: L'arbre de nuit Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François Bellec
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soient difficiles à interpréter.
    — Soit. D’un autre côté, le paradis terrestre est forcément quelque part. Qui oserait poursuivre une quête aussi impie ?
    — Ne t’inquiète pas. Le paradis est ailleurs. J’ignore où Dieu l’a installé mais certainement pas sur la Terre.
    — Des milliers d’îles, de déserts et de forêts vierges restent inaccessibles et inexplorés. Ce sont autant d’endroits secrets pour cacher un secret de Dieu.
    Guillaume rapprocha ses deux mains ouvertes en coupe, comme s’il comprimait un volume sphérique.
    — La terre est de moins en moins inaccessible. Elle est en train de devenir trop petite pour cacher longtemps ton secret de Dieu ! Imagine le déménagement en catastrophe du paradis terrestre affolé par l’approche de conquérants espagnols l’épée au poing ou de marchands luthériens brandissant leurs pesons ? L’exode des âmes devant des hordes de pécheurs et de mécréants, comme un couvent de nonnes en fuite à l’annonce d’une troupe de Kazakhs ?
    Mocquet éclata de rire et applaudit.
    — Bravo, le Dieppois. Ton raisonnement est irréfutable. Le paradis terrestre est un mythe.

    Jean et François se mirent en route le lendemain mardi 23 octobre pour Rouen. L’À Dieu vat ! solennel de Guillaume qui les confiait à la Providence fit fondre en larmes la petite foule rassemblée en grande excitation place du Puits-salé autour des parents de François. Ils embarquèrent deux semaines plus tard, le 5 novembre, sur l’ Albatros , un caboteur de Galway. Il arrivait presque au jour dit de Königsberg avec des bois de mâture de Lituanie à destination de Lisbonne. Sous la croix de saint Patrick et le commandement d’uncapitaine natif de Dublin, son gaillard d’arrière vertigineusement pentu et une propreté méticuleuse trahissaient l’origine hollandaise de cette flûte ventrue au nom neutre, tout autant que le parler hermétiquement rocailleux de son équipage en majeure partie zélandais.

    Parvenant à peine à fournir des équipages aux caraques de Goa, Lisbonne avait concédé aux marins hollandais la redistribution de leurs cargaisons indiennes jusqu’aux Flandres. Parce que des alliances dynastiques diffuses entre les deux couronnes avaient permis à Felipe Second d’Espagne d’être reconnu par les Cortes comme leur roi Filipe Premier, le Portugal s’était trouvé impliqué dans la répression militaire de la rébellion des Provinces Unies. Les magasins de Lisbonne fermés aux caboteurs bataves s’étaient proposés aux Anglais. L’ Albatros allait prendre au retour des chitas, des toiles peintes du Gujarât et de Coromandel pour un négociant londonien de Mayfair, mais le but premier de son voyage jusqu’à Lisbonne était d’en rapporter une pleine cale de poivre. Amsterdam continuait à contrôler en sous-main la revente des produits orientaux en Europe. Insatisfaite de ce second rôle, elle étendait méthodiquement ses tentacules en direction de l’Insulinde.

    Après une escale à la Corogne pour décharger du sel pour les pêcheries et prendre quelques fûts de vin de Galice, Jean et François débarquèrent le 10 décembre à Santa Catarina en amont de la tour de Belém. Ils gagnèrent Lisbonne d’un saut à bord d’une barge du Tage.

Lisbonne

Le toit vibrait à chaque instant sous les coups de gueule des cloches concurrentes de deux églises voisines faisant les unes la promotion de São Miguel, les autres celle de Santo Estevão. Au point que le bourdon de la cathédrale devait appeler chaque dimanche les cousins chamailleurs à un peu plus de discrétion. Comme tous les jours de grand soleil en cette saison instable, Jean et François étaient allongés à plat dos sur les tuiles. La tête appuyée sur leurs manteaux roulés, ils contemplaient le miroitement de la mer de Paille, les yeux mi-clos dans l’ombre minimale du bord de leurs chapeaux. Au cours de ces heures jubilatoires sur leur toit de l’Alfama, ils n’étaient pas parvenus à décider s’il s’agissait d’un lac, d’un élargissement du Tage ou d’une rade maritime. Des barges pataudes passaient et repassaient. Leurs voiles démesurées étant inutiles en l’absence du moindre vent, elles dérivaient au gré du fleuve et des courants de marée, de droite à gauche puis de gauche à droite et encore et encore, avec une lenteur pathétique, dans le violent contre-jour d’un soleil bas sur l’horizon. Loin derrière la ligne à peine

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