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L'arbre de nuit

L'arbre de nuit

Titel: L'arbre de nuit Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François Bellec
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étonnante journée, il se demanda comment diable cet apothicaire – royal peut-être mais cela n’expliquait pas tout – avait pu gagner à Marrakech l’amitié et la protection à venir d’un vice-roi des Indes. Il n’était pas encore très sûr de la réalité de cette rencontre ni de ce qui allait arriver. Ce Parisien était intéressant, érudit, intelligent mais tellement bizarre. Dire que s’il était passé par Marseille à bord de la galère de son ambassadeur, ils ne l’auraient pas connu.
    Quand il rentra chez lui place du Puits-Salé, son père était solennel et sa mère en larmes parmi des voisins jacassant. Yvon avait colporté dans toute la ville l’incroyable nouvelle que François partait aux Indes orientales avec un Parisien ami des sultans, des rois et des pirates sanguinaires.

Comme il l’avait annoncé, Jean Mocquet toqua au carreau le 16 octobre. Sous son chapeau à bord rebroussé, l’ami du roi avait meilleure allure que lors de sa première apparition au Pollet. Son pourpoint de soie puce et un col plat de dentelle apportaient une touche d’élégance citadine à une sobre tenue de voyage, un manteau de drap gris comme ses chausses amples prises dans des demi-bottes à revers. Un caban de feutre couleur de tourbe jeté sur son bras gauche le mettrait au besoin à l’abri de la pluie. François, dont la garde-robe était très rustique, en fut un peu intimidé.
    Il apprit aussitôt à Jean qu’un négociant de Rouen attendait sous trois semaines le passage d’un caboteur venant de la Baltique, armé pour Lisbonne. Il se préparait à charger à son bord vingt fûts de vin de Bourgogne. Ne tenant plus en place depuis deux semaines, il suggéra qu’ils partissent au plus vite mais l’apothicaire royal le modéra d’un geste.
    — J’enrage car mon coffre est resté sur le quai à Paris. J’ai assez tempêté pour espérer qu’il me sera livré sans faute par le coche d’eau de la semaine prochaine. J’avais repéré le Soleil d’or lors de mon passage en juillet et je m’y suis installé. Au demeurant, l’auberge est plaisante. Assez près du port pourjouir si je veux de son spectacle, assez éloignée pour ne pas en subir tout le temps les bruits ni les odeurs.
    François bouda un bon quart d’heure de n’être pas déjà parti.
    Jean avait par contre tant de questions en tête que cette attente forcée ne l’énervait pas vraiment. Sa culture humaniste était interpellée par les contradictions d’un siècle en expansion, écartelé entre un fonds antique et des connaissances qui s’ouvraient chaque année un peu plus. Il s’efforçait en voyageur intelligent de concilier ce que l’on disait des terres neuves et ce qu’il en avait vu de ses yeux.
    — J’ai bien l’intention de profiter de toi pendant ces quelques jours, Guillaume, puisque de toute façon nous devons nous en accommoder.

    L’apothicaire prenait plaisir à se mariniser leur disait-il, en arpentant chaque jour le quai du bassin des harenguiers avant de les retrouver au Pollet. La saison du hareng frais venait de commencer. Habituellement salé et mis en caque, il passait en ce moment à portée de marée fraîche des criées de la Manche. Son meilleur prix enfiévrait le port de l’animation des grandes saisons de pêche. Tout le quartier Saint-Jacques était enguirlandé de filets comme si l’on y jouait un mystère de Noël. Gris, ocre ou bruns, ils séchaient au soleil en haut des mâts, étalés sur le quai ou tendus aux murs. Ils s’accordaient aux coques noircies au brai et aux harmonies sourdes des voiles de lin pâlies au fil des jours de mer, des blouses courtes et des chausses de grosse toile écrue des pêcheurs. Jean découvrait cette corporation, une fourmilière solidaire et introvertie, vieillards, femmes et enfants tous occupés à quelque chose quand les hommes étaient en mer. Rescapés, veuves et orphelins, avait corrigé Guillaume, car les pêcheurs vivaient un malheur continu, passé, présent ou à venir. Maîtresses d’un quartier habité d’hommes hypothétiques, représentés par leurs vêtements de mer suspendus aux fenêtres pour sécher, les femmes étaient à la peine partout le long du littoral normand. Attelées aux cordelles pour haler les bateaux à contre-vent dans le chenal, hotteuses voûtées par le poidsdes mannes aux retours des marées aux harengs, en charge des filets déchirés chaque jour par la calamité des thons et des dauphins qui s’y

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