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L'arbre de nuit

L'arbre de nuit

Titel: L'arbre de nuit Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François Bellec
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faveur d’un prince Saadien. Cette protection l’avait fait choisir pour
     conduire une ambassade délicate, assez importante pour avoir valeur de bonne
     manière du roi de France envers Philippe III d’Espagne, roi du Portugal. Il
     s’agissait d’obtenir la restitution du frère du provedor de la Casa da
     India, l’administration de l’Inde, la charge royale la plus prestigieuse de
     Lisbonne, et du fils de dom Aires de Saldanha, vice-roi des Indes, faits
     prisonniers en 1578 avec quelques milliers de Portugais lors dudésastre de Ksar el-Kébir où avaient disparu le
     jeune roi Sebastião et avec lui la dynastie d’Avis.

    En retrait, un Européen vêtu d’un caftan à l’orientale
     suivait l’interminable négociation grâce au truchement d’un drogman qui la
     lui traduisait en français. Il devait sa présence dans l’espace diplomatique
     du palais d’Ahmed el-Mansour à la reconnaissance du secrétaire du sultan
     qu’il venait de débarrasser de ses vers. Jean Mocquet était apothicaire et
     chirurgien, voyageur dilettante instruit sur tout, curieux de tout. Ses
     connaissances étonnantes lui avaient fait attribuer la charge sur mesure
     d’intendant du Cabinet des Singularités du roi au palais des Tuileries,
     fondé autour de ses trouvailles en Guyane, en Amazonie et en Afrique. Il les
     avait offertes à Henri IV qui l’honorait en retour d’une confiance amicale,
     voire d’une flatteuse familiarité. Présenté à Morsiglia, l’ambassadeur avait
     accueilli le voyageur avec chaleur, pas mécontent de déployer son habileté
     de négociateur devant un témoin ayant l’oreille du roi.

    Le voyage de Mocquet était accidentel. Il était venu chercher
     à Lisbonne un passage pour Goa à bord de la flotte de 1605. Le ferment de sa
     curiosité était un livre publié là-bas par un botaniste portugais. Garcia da
     Orta y révélait la nature et l’utilité d’une infinité de plantes, d’épices
     et d’herbes médicinales indiennes. L’apothicaire avait imaginé aller
     herboriser sur place, ce livre à la main, se réclamant d’une démarche
     humaniste pour obtenir un passeport. Malheureusement, au moment où il avait
     bon espoir d’embarquer, Lisbonne s’était énervée. Le bruit venait de se
     répandre qu’une escadre hollandaise avait bloqué Goa pendant trois semaines.
     Que les Bataves avaient attaqué Mozambique et Macao. Tout étranger avait été
     aussitôt suspecté d’espionnage. Refoulé sans ménagement de toutes les
     antichambres, il avait saisi par dépit une opportunité de traverser de Lagos
     à Tanger.

    — Même en les oignant d’huile de sésame, tu ne transformeras
     jamais une paire de figues en testicules !
    L’aphorisme viril – un proverbe persan glissé par Jean
     Mocquet à l’oreille du drogman – fit éclater de rire l’assistance. Pour le
     plaisir d’un commentaire spirituel, le grand vizir donna finalement son
     accord à l’échange avantageux de deux captifs relativement dévalués depuis
     l’époque de Ksar el-Kébir. Contre une rançon faramineuse, Pedro César et
     Antonio Saldanha furent défaits de leurs chaînes et rendus à l’ambassadeur.
     Ils tombèrent en pleurs dans les bras de leur sauveur quand leur fut
     racontée l’anecdote des figues, et ils lui jurèrent évidemment une
     reconnaissance aussi longue que leur épreuve, à la hauteur miraculeuse de
     l’efficacité de son intercession.

    La galère La Lionne attendait la
     délégation sous la citadelle portugaise de Mogador. L’apothicaire royal
     accepta avec gratitude l’invitation de l’ambassadeur de se joindre à son
     train qui retournait à bord et de rentrer avec lui à Marseille après une
     escale à Lisbonne le temps d’y déposer leurs obligés de la part du roi de
     France.
    Le lendemain, il rassemblait ses paquets quand le secrétaire
     d’Ahmed el-Mansour vint informer l’érudit apprécié d’Henri IV que le sultan
     souhaitait connaître son opinion sur des scènes étranges peintes aux franges
     du désert. Jean Mocquet fut trop heureux d’aller voir les grottes de Fam
     el-Hisn. Il déclina finalement l’offre de Morsiglia et défit ses
     bagages.

Sur la route d’Arraiolos à Evora, une petite troupe de
     cavaliers approchait de la ville à la tombée du jour par un temps lourd à
     odeur d’orage. Le soleil déclinant illuminait violemment l’aqueduc de Agua
     de Prata sous lequel elle allait passer.

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