L'archer démoniaque
rencontrées à Ashdown. À une exception près : Maîtresse Jocasta, mais elle s’est disculpée elle-même en justifiant sans détour ses rapports avec Lord Henry.
Corbett tendit les mains.
— En séparant le possible du probable, dit-il en désignant Odo, mes soupçons se sont portés sur vous. Vous faites semblant d’être un ermite vivant dans la grotte de la Gueule du Dragon. Vous trouvez cela aisé. Mais qui êtes-vous en vérité, Messire l’ermite ? Un prêtre franciscain, un frère lai ? Votre rôle d’ermite n’entre pas en conflit avec cela. Vous pouvez vous cacher sous cette apparence. Personne ne suspectera un dévot homme de Dieu aux mains si blessées qu’il peut à peine tenir une pelle et moins encore tendre un arc. Vous quittez votre ermitage et vous rendez dans un endroit secret où vous gardez manteau, masque, arc, carquois de flèches, plume, parchemin et encre. À l’instar de tous les franciscains, vous savez lire et écrire.
Le magistrat fit une pause. L’ermite était toujours tête basse. Frère Cosmas s’était un peu approché comme pour lui offrir protection et assistance.
— Vous aviez une querelle à régler avec Lord Henry, reprit Corbett. Mais vous n’êtes point un assassin de nature. Vous agissiez en prêtre. Vous ne vouliez pas châtier Lord Henry pour son péché, mais troubler son âme, lui rappeler quelque chose, éveiller, peut-être, ses remords et son repentir. Vous l’avez fait en envoyant des messages, ce qui ne me concerne pas. Ce que je veux savoir, c’est si votre patience était à bout. En avez-vous eu assez de jouer à ce jeu, et, au lieu de rappeler la justice de Dieu à Lord Henry, avez-vous décidé de pratiquer la vengeance de Dieu ? Êtes-vous un meurtrier, Odo ? Êtes-vous coupable de la mort de Lord Henry ?
— Vous n’avez point de preuve, dit ce dernier en levant les yeux. Il est exact que je me bande les mains, mais c’est peut-être pour exciter la pitié. En vérité, Sir Hugh, bien des gens, à Ashdown, sont en désaccord avec Lord Henry.
— Je ne vous veux pas de mal, répliqua Corbett. Qui vous êtes, d’où vous venez, cela ne me concerne pas. Mais je peux ordonner votre arrestation et vous faire conduire enchaîné à Londres. On peut vous loger à Newgate, à la prison de la Fleet ou la Tour pendant que les clercs du roi feront une enquête détaillée et interrogeront avec soin vos supérieurs à Londres. Frère Cosmas, ici présent, vous rejoindra et, en fin de compte, la vérité verra le jour.
Frère Cosmas s’apprêtait à protester quand l’ermite lui effleura le dos de la main.
— Je vous ai vu chevaucher dans la forêt, dit-il avec un demi-sourire. Le clerc du roi et son assistant sont venus rendre justice parce qu’on a tué le grand Lord Henry Fitzalan. J’étais en colère. Si on assassine un grand seigneur, le roi fait sentir son pouvoir. Mais quand une jeune femme se pend et que son mari, terrassé par le chagrin, l’imite, il y a aussi peu de remue-ménage que lorsqu’un moineau tombe du ciel. J’ai tiré ces flèches par rage et aussi pour détourner vos soupçons.
Il fit un geste.
— Non, non, ce n’est pas tout à fait exact, que Dieu me pardonne ! Quand Lord Henry a été tué, je me suis presque cru responsable. D’une certaine façon, je ne m’opposerais quasiment pas à ce qu’on fasse porter le crime au Hibou.
— Mais c’est faux ! l’interrompit avec violence frère Cosmas.
Odo lui jeta un regard surpris.
— C’est faux, répéta le franciscain d’une voix douce. Odo, vous êtes incapable de tuer quiconque. Je vais vous dire la vérité, ajouta-t-il tout à trac comme pour détourner l’attention de Corbett. Connaissez-vous l’histoire de La Rose rouge de Rye – une taverne dans les faubourgs de la ville – et celle de ses propriétaires, Alwayn et Katherine Rothmere ?
Corbett acquiesça d’un signe de tête.
— Odo était leur jeune fils. Après la disparition de ses parents, on l’a envoyé dans sa famille en Essex. Il a été élevé par des gens qui ressemblaient beaucoup à ceux d’Ashdown. Il est devenu forestier royal, puis soldat. Il n’a appris la tragique vérité sur la mort de ses parents que devenu adulte.
— J’ai d’abord juré de me venger, poursuivit le soi-disant ermite. Mais mes parents nourriciers étaient de bonnes gens qui m’ont élevé dans la crainte de Dieu et du roi. Depuis ma jeunesse j’avais une vocation :
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