L'archer du Roi
fumée de bois, le crottin de cheval et la graisse rance. Quelle
stupidité ! Et ce n’était pas pour le Graal qu’il l’avait fait, mais
uniquement pour impressionner Jeannette. Il n’était qu’un sot, un pauvre sot,
et comme un sot il était tombé dans le piège tendu par ses ennemis. Et si ses
ennemis l’avaient capturé, ce n’était pas pour obtenir une rançon. Il ne
représentait aucune valeur. Alors pourquoi était-il encore vivant ? Parce
qu’ils voulaient obtenir quelque chose de lui.
Il en était à ce stade de ses réflexions lorsque la porte
s’ouvrit. Il releva les paupières.
Un homme en froc noir de moine apportait deux tréteaux qu’il
posa dans la pièce. Ses cheveux n’étaient pas tondus, ce qui laissait supposer
que c’était un laïc faisant office de valet dans un monastère.
— Qui êtes-vous ? lui demanda Thomas.
L’homme, un petit être affecté d’une légère claudication, se
contenta de placer les deux tréteaux au milieu du plancher sans répondre.
Quelques instants plus tard, il revint avec cinq planches qu’il disposa en
travers des tréteaux pour former une table. Un deuxième homme sans tonsure,
pareillement vêtu d’une robe noire, entra et considéra Thomas.
— Qui êtes-vous ? répéta Thomas, mais le nouveau
venu resta aussi muet que le premier.
C’était un homme imposant, aux arcades sourcilières osseuses
et aux joues creuses. Il inspecta le prisonnier comme s’il appréciait le bœuf
qu’on venait d’amener à l’abattoir.
— Tu vas faire le feu ? s’enquit le premier.
— Oui, dans une minute, répondit son acolyte en sortant
un couteau à courte lame de sa ceinture. Tiens-toi tranquille, gronda-t-il en
s’approchant de Thomas, et je ne te ferai pas de mal.
— Qui êtes-vous ?
— Quelqu’un que tu ne connais pas et que tu ne
connaîtras jamais, répondit l’homme en attrapant le gilet de laine du
prisonnier par le col et en le fendant du haut en bas d’un geste brutal.
La lame effleura la peau de Thomas, sans le blesser,
toutefois. Il recula, mais l’homme se contenta de suivre ses mouvements,
lacérant et tirant sur le vêtement déchiré jusqu’à ce que sa poitrine fut
dénudée. Puis il coupa les manches et ôta le gilet, laissant Thomas nu jusqu’à
la taille.
Le valet désigna alors le pied droit du jeune archer.
— Lève-le ! ordonna-t-il.
Thomas hésita et l’homme soupira.
— Je peux t’y forcer, dit-il, et ça fera mal, ou tu le
fais toi-même, et tu n’auras pas mal.
Il enleva ses deux bottes à Thomas, puis coupa la ceinture
de ses braies.
— Non ! protesta le jeune archer.
— Gâche pas ton souffle, répliqua le valet.
Déchirant, tirant, arrachant avec dextérité, il mit ses
braies en pièces et les lui ôta, laissant sa victime nue et tremblante.
Puis il ramassa les différentes pièces qui constituaient
auparavant sa vêture et sortit.
Son acolyte apporta une série d’objets qu’il disposa sur la
table. Il y avait un livre et un pot contenant sans doute de l’encre, car, à
côté du livre, l’homme posa deux plumes d’oie et un petit couteau à poignée
d’ivoire pour tailler les plumes. Ensuite, il rajouta un crucifix, deux grands
cierges dignes de décorer un autel dans une église, trois tisonniers, une paire
de pinces et un curieux instrument que Thomas ne distinguait pas bien. Enfin,
il plaça deux chaises derrière la table et un seau de bois à portée de main du
prisonnier.
— Tu sais à quoi ça va servir, hein ? demanda-t-il
en touchant le seau du bout du pied.
— Qui êtes-vous ? Je vous en prie !
— C’est que nous n’avons pas envie que tu fasses des saletés
par terre, compris ?
L’homme imposant rentra dans la pièce, chargé d’une brassée
de petit bois et d’un panier de bûches.
— Au moins, ça te réchauffera ! ricana-t-il,
visiblement réjoui.
Il avait apporté un petit pot d’argile rempli de braises
rougeoyantes, qu’il utilisa pour allumer le petit bois. Puis il empila quelques
petites bûches et tendit ses mains aux flammes qui commençaient à danser.
— Ah, un bon feu bien chaud, dit-il, ça fait du bien en
hiver ! Jamais vu un hiver pareil ! Quel déluge ! C’est le
moment de construire une arche.
On entendit une cloche tinter dans le lointain. Le feu
commençait à crépiter, enfumant la pièce, peut-être parce que la cheminée était
froide.
— Ce qu’il aime, dit l’homme qui avait allumé le
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