L'archer du Roi
Thomas fut tourné sur
son ventre martyrisé et l’appareil bizarre qu’il n’avait pas su reconnaître
lorsqu’on l’avait posé sur la table fut placé sur une jointure de sa main
gauche. Il comprit que c’était un étau de fer.
Taillebourg serra la vis. Sous l’effet de la douleur, Thomas
se cabra en hurlant. Il perdit connaissance, mais frère Cailloux le fit revenir
à lui avec la serviette et de l’eau froide.
— Qui est Hakalya ? demanda l’inquisiteur.
« Quelle question stupide ! se dit Thomas. Comme
si la réponse avait une importance ! »
— Je ne sais pas ! répondit-il dans un
gémissement, en priant le ciel pour que son tourmenteur le croie.
Mais la douleur recommença et les meilleurs moments, en
dehors de l’oubli pur et simple, furent ceux où il retrouvait et perdait
alternativement conscience en se croyant la proie d’un rêve – un mauvais
rêve, mais un rêve tout de même. Les pires étaient ceux où il s’apercevait que
ce n’était pas un rêve et que son univers se réduisait à la douleur à l’état
brut. Taillebourg superposait les différentes variantes de douleur soit en
serrant une vis pour briser un doigt, soit en plaçant un fer rouge sur sa
chair.
— Parle, Thomas, le conjurait l’inquisiteur d’une voix
douce, il te suffit de parler pour faire cesser ton tourment. Je t’en prie,
Thomas. Crois-tu que cela me plaise de faire souffrir ? Au nom de Dieu, je
déteste cela, alors parle, je t’en prie, parle-moi.
Aussi Thomas parla-t-il. Hakalya était le père du tirshatha,
et le tirshatha était le père de Néhémie.
— Et Néhémie, demanda Taillebourg, qui était-ce ?
— L’échanson du roi, répondit le malheureux Thomas en
sanglotant.
— Pourquoi les hommes mentent-ils à Dieu ?
s’interrogea le dominicain.
Il avait reposé l’étau sur la table et les trois tisonniers
étaient de nouveau au feu.
— Pourquoi ? répéta-t-il. La vérité finit toujours
par être découverte. Dieu y pourvoit. Donc, Thomas, après tout, tu en savais
plus que tu ne le prétendais et nous allons découvrir tes autres fables. Mais
parle-nous d’abord de Hakalya. Crois-tu que cette citation du livre d’Esdras
soit la manière choisie par ton père pour faire savoir qu’il possédait le
Graal ?
— Oui, répondit Thomas, oui, oui, oui.
Il gisait recroquevillé contre le mur en tenant ses mains
brisées et menottées derrière son dos. La moindre fibre de son corps criait sa
souffrance. Mais peut-être celle-ci cesserait-elle s’il avouait tout.
— Mais frère Germain me dit que le passage sur Hakalya
dans le livre de ton père est écrit en hébreu. Connais-tu l’hébreu,
Thomas ?
— Non.
— Qui donc t’a traduit ce passage ?
— Frère Germain.
— Et c’est frère Germain qui t’a appris qui était
Hakalya ? demanda l’inquisiteur.
— Non, répondit Thomas dans une plainte.
Il était inutile de mentir, car le dominicain ne manquerait
pas de vérifier auprès du vieux moine. Or, cette réponse débouchait sur
d’autres questions qui, à leur tour, révéleraient d’autres mensonges. Thomas ne
l’ignorait pas, mais il était trop tard à présent pour résister.
— Qui te l’a dit ?
— Un docteur.
— Un docteur, répéta Taillebourg. Cela ne m’aide point,
Thomas. Tu veux en repasser par le feu ? Quel docteur ? Un docteur en
théologie ? Un médecin ? Et lorsque tu as demandé à ce mystérieux
docteur de t’expliquer la signification du passage, n’a-t-il pas cherché à
savoir pourquoi tu voulais la connaître ?
Thomas avoua donc qu’il s’agissait de Mordecaï, et reconnut
que ce dernier avait regardé le livre, déclenchant pour la première fois la
colère de l’inquisiteur, qui frappa du poing sur la table.
— Tu as montré ce livre à un juif ? siffla-t-il
d’une voix incrédule. À un juif ? Au nom de Dieu et de tous les saints du
ciel, à quoi as-tu pensé ? À un juif ! À un homme de la race qui a
tué notre Sauveur ! Si par malheur les juifs trouvent le Graal, pauvre
idiot, ils feront apparaître l’Antéchrist ! Tu vas payer cette trahison
par la souffrance ! Tu dois souffrir !
Traversant la pièce, il attrapa un tisonnier et s’approcha
de sa victime blottie contre le mur.
— À un juif ! cria-t-il, hors de lui, en incisant
la jambe de Thomas qui se mit à hurler. Misérable scélérat ! Tu n’es qu’un
traître ! Tu as trahi Dieu, tu as trahi le Christ,
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