L'archer du Roi
pertes de mémoire. Thomas était-il tout à
fait certain que le soldat ne savait pas lire ?
— Il ne sait pas lire ! répéta ce dernier avec
conviction.
Il avait repris confiance et choisi de se montrer rassurant.
Il avait commencé la journée précédente par les insultes et la haine, mais à
présent, il s’agissait de tout mettre en œuvre pour aider l’inquisiteur à
s’acheminer vers la fin de son interrogatoire. Il était presque sauvé.
— Skeat ne sait pas lire, répéta Taillebourg sans
cesser de faire les cent pas. Je suppose que ce n’est pas surprenant. Donc, il
ne regardera pas le livre que tu as laissé sous sa garde ?
— J’aurai de la chance s’il n’utilise pas ses pages
pour s’essuyer le cul. C’est la seule utilisation que connaisse Will Skeat du
papier ou du parchemin.
L’inquisiteur répondit par le sourire qu’attendait Thomas,
puis leva les yeux au plafond. Il resta silencieux pendant un long moment,
mais, à la fin, décocha à son prisonnier un regard perplexe.
— Qui est Hakalya ?
Cette question prit Thomas par surprise et le décontenança.
— Je ne sais pas, parvint-il à répondre après la
seconde qu’il lui fallut pour se reprendre, et qui n’échappa pas à son
tourmenteur.
Ce dernier observa sa victime avec attention. La tension
envahit soudain la pièce ; les valets furent tirés de leur torpeur et
frère Cailloux s’arrêta d’écrire pour suivre la scène.
Taillebourg sourit.
— Je vais te donner une dernière chance, Thomas,
déclara-t-il de sa voix profonde. Qui est Hakalya ?
Thomas n’avait pas le choix. Il devait payer d’audace.
« Sors-toi de cela, se dit-il, et il te laissera tranquille. »
— Je n’ai jamais entendu parler de lui avant que frère
Germain ne mentionne son nom, répondit-il en faisant de son mieux pour paraître
candide.
Comment Taillebourg avait-il compris que Hakalya était le
point faible de la tactique de défense de Thomas ? C’était un mystère.
Mais si le dominicain pouvait prouver que son prisonnier savait qui était
Hakalya, il pourrait prouver que celui-ci avait traduit au moins l’un des passages
du livre en hébreu. Il pourrait prouver que Thomas avait menti pendant tout
l’interrogatoire et cela ouvrirait la voie à de nouvelles révélations.
Le dominicain accentua sa pression et, devant les dénégations
obstinées du jeune archer, il fit signe aux valets. Frère Cailloux tressaillit.
— Je vous l’ai dit, s’entêta Thomas, de plus en plus
nerveux, je ne sais vraiment pas qui est Hakalya.
— Mais mon devoir envers Dieu, dit Taillebourg en
prenant le premier tisonnier incandescent des mains du valet, est de m’assurer
que tu ne racontes pas de mensonges.
Regardant sa victime avec ce qui pouvait passer pour de la
compassion, il ajouta :
— Je ne veux pas te faire de mal, Thomas, je veux
seulement la vérité. Allons, dis-moi, qui est Hakalya ?
Thomas avala sa salive.
— Je ne sais pas, dit-il.
Puis il répéta d’une voix plus forte :
— Je ne sais pas !
— Moi, je crois que tu sais, répliqua l’inquisiteur.
Et la torture commença.
— Au nom du Père, récita Taillebourg en plaçant le fer
rouge sur la chair nue de la jambe de Thomas, et du Fils et du Saint-Esprit.
Les deux valets maintinrent le prisonnier à terre. La
douleur était pire que ce qu’il avait imaginé. Il essaya de se dégager, mais il
lui était impossible de bouger. Ses narines se remplirent de l’odeur de la
chair brûlée. Mais il ne répondrait pas à la question, car en révélant ses
mensonges, il se livrerait à un châtiment encore pire. Dans un coin de sa tête
qui hurlait de douleur, il conservait la conviction que s’il persistait dans
son mensonge, Taillebourg le croirait et arrêterait de le torturer. Mais dans
cette joute qui opposait la patience du tortionnaire à celle du prisonnier, le
prisonnier n’avait aucune chance.
Un deuxième tisonnier fut chauffé et sa pointe parcourut les
côtes de Thomas.
— Qui est Hakalya ? demanda Taillebourg.
— Je vous l’ai dit…
Le fer rouge fut posé sur sa poitrine et descendit jusqu’à
son ventre, marquant sa chair brûlée, racornie, à vif. La plaie fut cautérisée
instantanément de façon à ne laisser aucune trace de sang. Le cri de Thomas fut
répercuté en écho par le plafond.
Le troisième tisonnier était prêt, et le premier avait été
remis au feu pour éviter une interruption de la torture.
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