L'archer du Roi
tu as trahi
l’Église ! Tu ne vaux pas mieux que Judas Iscariote !
Et la torture continua. Les heures défilèrent. Puisque
Thomas avait menti avant d’être torturé, ses réponses précédentes furent
passées au crible une par une, pendant les moments où il gardait conscience.
— Eh bien, où est le Graal ?
— Je ne sais pas. Je ne sais pas !
Thomas regardait le fer incandescent et hurlait avant même
qu’il ne le touche. Mais ses hurlements n’empêchaient pas la torture de
continuer à l’infini.
Et il parla. Il dit tout ce qu’il savait, et il fut même
tenté, comme Guy Vexille l’avait prédit, de demander à Taillebourg de le
laisser faire allégeance à son cousin. Mais alors le souvenir d’Eléonore vint
s’interposer au milieu de l’horreur de la torture, et il garda le silence.
Le quatrième jour, alors qu’il tremblait de terreur, alors
qu’une simple pichenette de son tortionnaire le faisait pleurer et crier grâce,
le seigneur de Roncelet entra dans la pièce.
C’était un homme de haute taille aux cheveux noirs et raides
coupés court, au nez cassé et à la bouche dépossédée de deux incisives. Il
portait sa propre livrée aux couleurs de la guêpe, les deux chevrons noirs sur
fond jaune. Il ricana à la vue du corps martyrisé de Thomas.
— Vous n’avez pas monté le chevalet, mon père, dit-il
d’un ton de reproche.
— Ce n’était pas nécessaire, répondit Taillebourg.
Le seigneur de Roncelet poussa le prisonnier du bout de son
pied cuirassé.
— Vous dites que cette canaille est un archer
anglais ?
— En effet.
— Eh bien, coupez-lui les doigts pour l’empêcher de se
servir de son arc ! exigea Roncelet.
— Je ne puis verser le sang, objecta l’inquisiteur.
— Par Dieu, je le puis, moi ! s’exclama Roncelet en
sortant un couteau de sa poche.
— C’est moi qui suis chargé de lui ! jeta le
dominicain. Il est entre les mains de Dieu, vous n’allez pas le toucher !
Vous n’allez pas verser son sang !
— Vous êtes en mon château, prêtre ! répliqua
Roncelet, menaçant.
— Et votre âme est entre mes mains ! rétorqua
Taillebourg.
— C’est un archer ! Un archer anglais ! Il
est venu ici pour enlever le fils Chénier ! C’est mon affaire !
— Ses doigts ont été écrasés par l’étau, donc ce n’est
plus un archer !
Roncelet ne trouva pas de réponse à cet argument. Il donna
un nouveau coup de pied furieux au prisonnier.
— Ce n’est qu’une merde, prêtre, voilà tout ! Une
merde puante.
Il accompagna ce commentaire d’un crachat. Il ne détestait
nullement Thomas en particulier, mais il détestait tous les archers qui avaient
ravi au chevalier la place qui lui revenait de droit, celle du roi du champ de
bataille.
— Qu’allez-vous faire de lui ? s’enquit-il.
— Prier pour son âme, répondit Taillebourg d’un ton
bref.
C’est ce qu’il fit lorsque le seigneur de Roncelet eut
tourné les talons. Il était évident qu’il avait terminé son interrogatoire, car
il sortit une petite fiole d’huile consacrée et administra à Thomas les
derniers sacrements. Il oignit ses sourcils et sa poitrine brûlée, puis récita
la prière des mourants.
— Sana me, Domine, psalmodia-t-il, les doigts
posés doucement sur les sourcils de sa victime, quoniam conturbata sunt ossa
mea. Guéris-moi, Seigneur, car mes os sont tordus de douleur.
Et lorsqu’il eut terminé, Thomas fut emporté dans un cachot
creusé dans le rocher sur lequel était construit le Guêpier. Le sol noir,
taillé dans la pierre brute, était aussi humide que froid. On l’enferma dans la
cellule et on détacha ses menottes.
Thomas crut devenir fou : il souffrait le martyre, ses
doigts étaient brisés, et il n’était plus un archer, car comment tendre une
corde avec les mains brisées ?
Puis la fièvre vint et il pleura, et il grelotta, et il
transpira, et la nuit, dans son demi-sommeil parcouru de cauchemars, il
balbutia des mots incompréhensibles. Il pleura de nouveau en se réveillant, car
il n’avait pas résisté à la torture, il avait tout raconté à Taillebourg. Il
n’était plus qu’un déchet perdu dans le noir, un mourant.
Il ne savait pas depuis combien de temps il croupissait dans
les cachots du Guêpier lorsque les deux valets du dominicain vinrent le
chercher. Ils lui passèrent une rugueuse chemise de laine, recouvrirent ses
jambes souillées avec des braies de laine malpropre, puis le
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