L'archer du Roi
poignets, et qui referma ses menottes sitôt qu’il eut avalé son
repas. Le seau fut emporté pour être vidé et remplacé.
Bernard Taillebourg fit son apparition peu après et, tandis
que ses valets ravivaient le feu et que frère Cailloux s’installait à sa table
de fortune, il salua son prisonnier avec une exquise politesse.
— As-tu bien dormi ? Ton petit déjeuner t’a-t-il
rassasié ? Il fait plus froid aujourd’hui, n’est-ce pas ? Jamais je
n’ai connu d’hiver aussi humide. La rivière a débordé à Rennes, pour la
première fois depuis des années ! Toutes les caves sont sous l’eau.
Thomas, glacé et effrayé, ne répondit pas, mais le
dominicain n’en prit pas offense. Il attendit que frère Cailloux eût trempé sa
plume dans l’encrier pour ordonner au valet le plus corpulent d’enlever la
couverture du prisonnier.
— Bien, dit-il quand ce dernier fut nu, reprenons.
Parlons du livre de ton père. Qui d’autre connaît son existence ?
— Personne, dit Thomas, excepté frère Germain et vous.
Taillebourg fronça les sourcils.
— Mais, Thomas, quelqu’un te l’a bien donné ! Et
cette personne connaît donc son existence ! Qui te l’a donné ?
— Un notaire de Dorchester, mentit le jeune archer avec
une grande aisance.
— Un nom, je te prie, donne-moi un nom.
— John Rowley, inventa Thomas.
— Épelle, je te prie.
Lorsque le captif se fut exécuté, l’inquisiteur entreprit de
faire les cent pas, visiblement contrarié.
— Ce Rowley connaissait sûrement la teneur de ce livre,
n’est-ce pas ?
— Il était enveloppé dans une cape appartenant à mon
père, au milieu d’un paquet de vieux vêtements. Le notaire n’a pas regardé.
— Il l’a peut-être fait.
— John Rowley est vieux et gros, objecta Thomas, il ne
va pas partir à la quête du Graal. De plus, il pensait que mon père était
fou : pourquoi se serait-il intéressé à un livre écrit par lui ? Tout
ce qui intéresse Rowley, c’est la bière, l’hydromel et le pâté de mouton.
Les trois tisonniers étaient en train de chauffer dans
l’âtre. La pluie avait commencé à tomber et des rafales d’un vent froid
soufflaient régulièrement des gouttes par la fenêtre ouverte. Thomas se souvint
des avertissements de son cousin la nuit précédente : Taillebourg aimait
faire souffrir. Pourtant, la voix du dominicain était douce et posée, et Thomas
sentait qu’il avait évité le pire. Il avait supporté une journée entière
d’interrogatoire, et ses réponses avaient semblé satisfaire l’inquisiteur,
réduit à présent à remplir les trous de toute l’histoire.
À présent, Taillebourg voulait tout savoir de la lance de
saint Georges. Thomas lui raconta que l’arme était suspendue dans l’église de Hookton,
qu’elle avait été dérobée et qu’il l’avait reprise au cours de la bataille qui
avait eu lieu à la lisière de la forêt de Crécy. Thomas pensait-il que c’était
la véritable lance ?
Le jeune archer secoua la tête.
— Je ne sais pas, répondit-il, mais mon père le
croyait.
— Et c’est ton cousin qui a volé la lance dans l’église
de Hookton ?
— Oui.
— Sans doute pour que personne ne s’aperçoive que
c’était la quête du Graal qui l’avait amené en Angleterre, en déduisit le
dominicain, donnant libre cours à son imagination. Cette lance était un
prétexte.
Le saint homme s’abîma dans ses réflexions et Thomas, ne
ressentant pas la nécessité de faire un commentaire, resta muet.
— Cette lance était-elle munie d’une lame ?
s’enquit enfin Taillebourg.
— Oui, une lame très longue.
— Mais si c’était la lame qui a tué le dragon, elle
était sans doute mélangée avec du sang du monstre ?
— Vraiment ?
— Mais naturellement ! affirma l’inquisiteur, en
regardant Thomas comme s’il avait affaire à un faible d’esprit. Le sang de dragon
est du sang brûlant, en fusion !
Il haussa les épaules comme pour en conclure que cette
affaire de lance n’entrait pas dans le cadre de sa quête.
Frère Cailloux, soucieux de suivre le rythme de
l’interrogatoire, faisait crisser sa plume à toute allure sur le parchemin, et
les deux valets restaient plantés près du feu sans chercher à dissimuler leur
ennui.
Taillebourg, de son côté, cherchait un nouveau sujet à
explorer. Pour une raison connue de lui seul, il choisit Will Skeat et consacra
son attention à sa blessure et à ses
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