L'archer du Roi
qu’ils ont
servi. »
— Moi, quand ce sera terminé, ici, j’irai à Calais voir
si les archers de Will ont besoin d’un nouveau chef, annonça-t-il.
Mordecaï sourit.
— Vous ne partez point en quête du Graal ?
— Je ne sais pas où le trouver.
— Et le livre de votre père ? Il ne vous a été
d’aucune aide ?
Thomas s’était plongé dans la copie faite par Jeannette,
dans l’idée que son père avait utilisé une sorte de code. Mais il avait eu beau
s’échiner, il n’avait pas réussi à percer le mystère. Peut-être ce livre
décousu n’était-il finalement qu’une manifestation de l’esprit dérangé de son
père. Une chose était sûre, cependant : son père était convaincu d’avoir
possédé le Graal.
— Je vais partir en quête du Graal, déclara Thomas,
mais parfois, je me dis que la seule façon de partir à sa quête est de ne pas le
chercher.
Il leva la tête, intrigué par un remue-ménage sur le toit.
Le chat avait bondi, mais il avait dérapé, et les oiseaux s’envolaient dans un
battement d’ailes affolé.
— Encore un présage ? proposa Mordecaï en suivant
des yeux la fuite des oiseaux. Un bon, cette fois-ci ?
— D’ailleurs, dit Thomas sans tenir compte de son ton
narquois, que savez-vous du Graal ?
— Je suis juif. Comment pourrais-je savoir quoi que ce
soit ? répondit le vieux médecin d’un ton innocent. Que se passerait-il,
Thomas, si vous trouviez le Graal ? Croyez-vous que le monde en
deviendrait meilleur pour autant ? Que ce qui lui manque, c’est simplement
le Graal ? Est-ce là tout ?
Thomas ne répondit pas.
— Est-ce une sorte d’Abracadabra ? poursuivit le
vieux médecin.
— Le diable ? s’exclama Thomas, choqué.
— Abracadabra, ce n’est pas le diable ! répliqua
Mordecaï, choqué à son tour. C’est simplement un charme. Quelques juifs sots
croient qu’il suffit d’écrire ces mots en triangle et de les accrocher à leur
cou pour leur éviter d’attraper la fièvre intermittente ! Quelle
absurdité ! La seule bonne médecine pour la fièvre intermittente, c’est un
cataplasme de bouse de vache bien chaud, mais les bonnes gens préfèrent mettre
leur confiance dans les charmes et, je le crains, dans les présages. Mais moi,
je ne crois pas que Dieu agisse à travers l’un ou qu’il se révèle à travers
l’autre.
— Votre Dieu est très loin d’ici, fit remarquer Thomas.
— Oui, je le crains.
— Le mien est tout près, Il se montre.
— Eh bien, vous avez de la chance, dit Mordecaï, en
jouant avec la quenouille et le fuseau de Jeannette posés sur le banc, à côté
de lui. Vous avez de la chance, et j’espère que lorsque les troupes de Charles
entreront, votre Dieu restera tout près. Quant à nous autres, je suppose que
nous sommes condamnés ?
— S’ils pénètrent dans la ville, dit Thomas, il vaudra
mieux aller chercher refuge dans une église ou tenter de vous échapper par la
rivière.
— Je ne sais pas nager.
— Dans ce cas, l’église sera votre meilleur espoir.
— J’en doute, objecta Mordecaï en posant la quenouille.
Ce que devrait faire Totesham, c’est se rendre, pour nous permettre de vivre.
— Il ne le fera point.
Le vieux juif haussa les épaules.
— Eh bien, il nous faudra mourir.
Cependant, le lendemain, une chance de s’échapper lui fut
accordée, car Totesham proclama que tous ceux qui ne voulaient pas souffrir des
privations d’un siège étaient autorisés à quitter la ville par la porte sud.
Mais elle ne fut pas plutôt ouverte qu’une troupe d’hommes d’armes de Charles,
en cotte de mailles et la face cachée derrière un heaume gris, vint bloquer la
route. Une centaine de personnes seulement, uniquement des femmes et des
enfants, avaient décidé de partir, mais les hommes d’armes de Charles
s’interposèrent pour leur signifier qu’elles ne seraient pas autorisées à
abandonner la ville. Il n’était pas dans l’intérêt des assiégeants que la
garnison eût moins de bouches à nourrir. Aussi les hommes en gris barrèrent-ils
la route, les soldats de Totesham refermèrent-ils la porte, et les femmes et
les enfants restèrent-ils bloqués.
Ce soir-là, les trébuchets cessèrent leur activité pour la
première fois depuis que la pierre avait tué la femme du teinturier et son
amant. Au milieu d’un étrange silence, un messager de Charles s’avança. Une
trompette et une oriflamme blanche annoncèrent qu’il
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