L'archer du Roi
par les neuf trébuchets.
Passage pour l’Enfer et Faiseur de Veuves étaient accompagnés de Lance-Pierres,
d’Écrabouilleur, de Creuseur de Tombes, de Fouette-Pierres, de Cracheur, de
Destructeur et de Main de Dieu.
Chaque trébuchet était monté sur une armature de bois et
protégé par une haute palissade assez solide pour arrêter les flèches. Un
certain nombre de paysans qui avaient rejoint l’armée furent entraînés à rester
près des palissades et à se préparer à arroser d’eau les éventuelles flèches
enflammées susceptibles d’être tirées par les Anglais. Il fallait éviter que
les clôtures ne prennent feu en exposant ainsi les ingénieurs. D’autres
creusèrent les tranchées et élevèrent les remparts de terre qui formaient les
quatre forts. Partout où c’était possible, ils utilisèrent des fossés déjà
existants ou incorporèrent les épaisses haies de prunelliers aux défenses. Ils
fabriquèrent des barrières de pieux taillés en pointe et creusèrent des trous
pour briser les jambes des chevaux. Les quatre divisions de l’armée du duc
s’entourèrent des mêmes défenses. Et, jour après jour, tandis que les murs
s’élevaient et que les trébuchets prenaient forme grâce aux pièces transportées
par chariots, les guerriers du duc s’entraînaient à former leurs lignes de
bataille. Les arbalétriers génois se postaient près des murs en construction,
et les chevaliers ainsi que les hommes d’armes se rassemblaient derrière eux à
pied. Certains maugréaient que ces exercices représentaient une perte de temps,
mais d’autres comprenaient la tactique envisagée par le duc et l’approuvaient.
Les archers anglais, surpris par les murs, les tranchées et les palissades,
seraient fauchés un à un par les arbalètes. Pour finir, l’ennemi devrait
attaquer en traversant les murs de terre et les tranchées inondées, puis serait
cueilli par les hommes d’armes qui les attendraient de pied ferme.
Au bout d’une semaine de travail acharné, les trébuchets
étaient assemblés et leurs énormes caisses à contrepoids remplies de gros
morceaux de plomb. Il ne restait plus aux ingénieurs qu’à déployer un talent
encore plus subtil en propulsant leurs grosses pierres l’une après l’autre
exactement au même endroit du mur, afin que les remparts soient détruits et une
brèche ouverte sur la ville. Et une fois l’armée de renfort défaite, les hommes
du duc pourraient partir à l’assaut de La Roche-Derrien et passer ses habitants
félons au fil de l’épée.
Les ingénieurs bavarois choisirent leurs premières pierres
avec soin, puis adaptèrent la longueur de leurs frondes à la portée de leurs
machines.
Pendant ce temps, les faucons crécerelles planaient dans le
ciel, les boutons d’or déployaient leurs corolles dans les champs, les truites
s’amusaient à sauter hors de l’eau pour attraper les éphémères, l’ail sauvage
fleurissait de blanc les sous-bois et les pigeons volaient de branche en
branche dans les bois verdoyants. C’était la saison la plus agréable de
l’année. Enivré par l’air du printemps, le duc Charles, qui savait par ses
espions que l’armée anglaise de sir Thomas Dagworth s’était ébranlée à l’ouest
de la Bretagne, savoura son triomphe à l’avance.
— Que les Bavarois se mettent à l’œuvre, fit-il
transmettre par l’un de ses prêtres-conseillers.
Ce fut le trébuchet baptisé Passage pour l’Enfer qui tira le
premier. On actionna un levier, qui fit sortir une épaisse goupille de métal
d’une pièce percée d’un trou attachée au long bras de Passage pour l’Enfer. Dix
tonnes de plomb allèrent s’écraser sur le sol avec un bruit qui s’entendit
jusqu’à Tréguier et le long bras se souleva brutalement. Au bout du bras, la
fronde tourbillonna, l’air siffla comme sous l’effet d’une brusque bourrasque,
et un boulet s’élança en arc de cercle dans le ciel. Le gros bloc de pierre
parut rester accroché quelque temps dans le ciel parcouru de crécerelles, puis,
dans un bruit de tonnerre, il retomba.
La tuerie avait commencé.
13
La première pierre lancée par Passage pour l’Enfer creva le
toit de l’échoppe d’un teinturier près de l’église Saint-Brieuc et emporta la
tête d’un homme d’armes anglais et celle de la femme du teinturier. Une
plaisanterie courut au sein de la garnison, disant que les deux corps avaient
été tellement imbriqués l’un dans l’autre
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