L'archer du Roi
dans
sa grande tente près du moulin. On était samedi. Les forces ennemies se
trouvaient à courte distance et il convenait de calmer les ardeurs de certaines
têtes brûlées qui, inévitablement, piaffaient d’impatience et mouraient d’envie
d’attacher les armures, de lever les lances et de sauter à cheval pour aller se
jeter tout droit au-devant des flèches anglaises. « Car les sots sont
légion », se dit Charles.
Aussi tempéra-t-il leur enthousiasme en déclarant que
personne, excepté les éclaireurs, n’était autorisé à quitter les campements.
— Personne ! tonna-t-il en tapant du poing sur la
table, manquant de renverser l’encrier du scribe qui consignait ses paroles.
Personne ne sortira ! M’avez-vous tous bien compris ?
Il regarda tous les visages les uns après les autres, en
pestant mentalement contre la sottise de ses seigneurs.
— Nous resterons derrière nos retranchements,
poursuivit-il, et ce sont eux qui viendront à nous. Ils viendront à nous et ils
périront.
Certains seigneurs se renfrognèrent, car il était peu
glorieux de se battre derrière des murs de terre et des tranchées remplies
d’eau quand on pouvait caracoler sur un fier destrier, mais Charles de Blois
était ferme, et même les plus fortunés des seigneurs avaient pris au sérieux sa
menace de priver les désobéissants de la distribution de terres et de richesses
qui suivrait la conquête de la Bretagne.
Charles attrapa un morceau de parchemin.
— Nos éclaireurs se sont approchés de la colonne de sir
Thomas Dagworth, reprit-il de sa voix précise, et nous avons désormais une
estimation exacte de leur nombre.
Conscient du fait que ses auditeurs retenaient leur souffle,
impatients de connaître la puissance de l’ennemi, il marqua une pause afin de
jouir pleinement de son effet dramatique. Mais il lui fut impossible de
réfréner un sourire lorsqu’il révéla :
— Nos ennemis nous menacent… avec trois cents hommes
d’armes et quatre cents archers.
Il y eut un instant de stupeur, le temps que chacun comprît
bien les chiffres. Puis suivit une explosion de rires. Charles lui-même,
d’habitude si fermé, si inflexible et si sévère, joignit son rire à celui de
ses guerriers. C’était effectivement risible ! D’une effronterie !
C’était faire montre de bravoure, certainement, mais aussi d’une témérité bien
stupide !
Charles de Blois était à la tête de quatre mille guerriers
et de centaines de paysans volontaires sur lesquels il pouvait compter pour
pourfendre l’ennemi, même s’ils ne campaient pas à l’intérieur de ses forts de
terre. Il avait sous ses ordres deux mille arbalétriers, les plus réputés
d’Europe, un millier de chevaliers en armure, dont un grand nombre de champions
ayant remporté de grands tournois. Et sir Thomas Dagworth arrivait avec sept
cents hommes ? La ville en fournirait peut-être cent ou deux cents autres,
mais même en comptant large, les Anglais ne pourraient opposer plus d’un
millier de combattants aux Français, quatre fois plus nombreux.
— Ils viendront, dit-il à ses chef surexcités, et ils
périront tous.
Ils pouvaient approcher par deux routes différentes. La
première venait de l’ouest, et c’était la route la plus directe, mais elle
conduisait à l’autre bout de la Jaudy et Charles ne pensait pas que Dagworth
l’utiliserait. La deuxième faisait le tour de la ville assiégée par le sud-est
et menait tout droit au plus grand des quatre campements, le campement de l’est
qu’il commandait lui-même, où avaient été montés les grands trébuchets.
Les rires s’apaisèrent lorsque Charles reprit la parole.
— Je vais vous dire ce que fera sans doute sir Thomas.
C’est ce que je ferais si j’avais l’infortune de me trouver à sa place. Je
crois qu’il enverra un détachement d’hommes, un petit détachement chargé de
faire beaucoup de bruit, qui s’approchera de notre camp par la route de Lannion
(c’était la route qui venait de l’ouest, la route directe) et ce, durant la
nuit, pour nous faire accroire qu’il nous attaquera de ce côté-là. Dans son
idée, nous renforcerons ce camp, alors qu’il lancera à l’aube sa véritable
attaque par l’est. Il pense que le plus gros de notre armée l’attendra de
l’autre côté de la rivière et qu’il pourra venir à l’aube pour détruire les
trois campements moins défendus. Voilà ce qu’il va tenter, et il va échouer. Il
va
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