L'archer du Roi
désigna les débris de mailles, de
chair, d’entrailles et d’os qui restaient de l’Épouvantail.
Thomas examina la lame de son épée ébréchée en songeant
qu’il lui faudrait apprendre à se servir de cette arme, sans quoi il mourrait
par l’épée. Puis il avisa les hommes de sir Geoffrey.
— Disparaissez, allez à l’attaque du prochain
fort ! leur ordonna-t-il.
Ils le regardèrent sans comprendre.
— Disparaissez ! aboya-t-il.
Les deux hommes d’armes, effrayés, obtempérèrent.
Thomas pointa son épée sur le seigneur de Roncelet.
— Emmène-le en ville, dit-il à Robbie, et surveille-le
bien.
— Et toi ? s’enquit l’Écossais.
— Moi, je vais aller enterrer Will. C’était mon ami.
Thomas s’étonna de garder les yeux secs. Il se dit que, sans
doute, les larmes viendraient plus tard. Il rengaina son épée, puis sourit à
Robbie.
— Tu peux rentrer chez toi, Robbie.
— Je peux ?
Robbie paraissait dérouté.
— Taillebourg est mort. Roncelet va payer ta rançon à
lord Outhwaite. Tu peux rentrer à Eskdale, chez toi, et recommencer à tuer des
Anglais.
Le jeune Écossais secoua la tête.
— Mais Guy Vexille est toujours en vie.
— C’est à moi de le tuer.
— Et à moi aussi, répliqua Robbie. Tu oublies qu’il a
tué mon frère. Je reste jusqu’à ce qu’il soit mort.
— Si vous le retrouvez un jour, objecta doucement
Jeannette.
Le soleil éclairait la fumée des campements en feu et jetait
de longues ombres sur le terrain où l’on voyait les derniers rescapés de
l’armée de Charles abandonner leurs fortifications de terre et s’enfuir en
direction de Rennes. Ils étaient arrivés pleins de morgue et sûrs de vaincre,
et à présent ils prenaient la fuite, défaits et humiliés au-delà de toute
mesure.
Dans les tentes des ingénieurs, Thomas trouva un pic, une
pioche et une pelle. Il creusa une tombe à côté de Fouette-Pierres et inhuma le
corps de Skeat dans le sol humide. Il essaya de prononcer une prière, mais n’en
trouva aucune. Puis il se souvint de la pièce du passeur et retourna à la tente
du seigneur de Roncelet. Il ôta la toile carbonisée qui recouvrait le coffre,
sortit une pièce d’or et rejoignit la tombe. Il sauta dans le trou et plaça la
pièce sous la langue de Skeat. Le passeur la trouverait et saurait à la vue de
l’or que sir William Skeat n’était pas le premier venu. « Que Dieu te
bénisse, Will », dit Thomas. Puis il se hissa hors du trou et entreprit de
le remplir de terre, mais ne put s’empêcher de s’arrêter de temps à autre dans
l’espoir que les yeux de Will s’ouvriraient. Comme ses yeux ne s’ouvrirent pas,
il pleura.
Et ce fut aveuglé par les larmes qu’il recouvrit de terre le
visage livide de son ami.
Lorsqu’il eut terminé, il constata que le soleil était
entièrement levé et que les femmes et les enfants arrivaient déjà de la ville
pour chercher du butin. Un faucon crécerelle volait très haut dans le ciel.
Thomas alla s’asseoir sur le coffre rempli de pièces d’or
pour attendre Robbie. « Je vais aller vers le sud, se dit-il. Vers
Astarac. J’irai chercher le livre de mon père et je résoudrai son
mystère. » Tandis que les cloches de La Roche-Derrien sonnaient la victoire,
une immense victoire, il resta assis parmi les morts, songeant qu’il ne
trouverait pas la paix tant qu’il n’aurait pas retrouvé le fardeau de son père. Calix meus inebrians. Transfer calicem istem a me. Ego enim eram pincerna
régis.
Qu’il le veuille ou non, il était l’échanson du roi, et il
partirait vers le sud.
FIN
NOTE HISTORIQUE
Le roman commence par la bataille de Neville’s Cross. Cette
bataille tire son nom de la croix de pierre que fit ériger lord Neville pour
marquer la victoire. Mais peut-être une autre croix se trouvait-elle déjà sur
le site avant d’avoir été remplacée par le mémorial de lord Neville. La
bataille que se livrèrent une grande armée écossaise et une petite troupe
improvisée, hâtivement rassemblée par l’archevêque d’York et les seigneurs du
nord, fut un désastre pour les Écossais. Leur roi, David II, fut capturé
comme le décrit Vagabond , pris au piège sous un pont. Il réussit à
casser quelques dents à celui qui l’avait découvert, avant de se soumettre. Il
passa un long moment au château de Bamburgh, à se remettre de sa blessure au
visage, et fut ensuite emmené à Londres et jeté dans la Tour
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