L'archer du Roi
les lits
eux-mêmes, les ardoises de leurs toits, leurs marmites, leurs poêles, leur
bétail, et même les joncs de leurs ruisseaux.
— Mais ils n’attaqueront plus, ajouta-t-il.
— Donc, c’est à nous d’agir avec intelligence !
intervint lord Outhwaite avec entrain.
Ses pairs lui lancèrent un regard suspicieux. L’intelligence
ne les intéressait pas, car cette qualité n’était pas requise pour chasser le
sanglier et le cerf, pour profiter des femmes et pour prendre des prisonniers.
Les religieux pouvaient être intelligents ; sans doute y avait-il des imbéciles
intelligents à Oxford, et les femmes elles-mêmes pouvaient être intelligentes
tant qu’elles n’en faisaient pas étalage, mais sur un champ de bataille… ?
L’intelligence… ?
— Intelligents ? répéta lord Neville d’un ton
mordant.
— Ils craignent nos archers, expliqua lord Outhwaite,
mais s’ils constatent qu’ils se battent avec peu de flèches, cette crainte
disparaîtra et ils pourront très bien recommencer à attaquer.
— En effet, en effet… commença l’archevêque, puis il
s’arrêta, car il n’était pas moins intelligent que lord Outhwaite – assez
intelligent, en fait, pour cacher à quel point il l’était.
— Mais comment allons-nous les y amener ?
Lord Outhwaite expliqua obligeamment à l’archevêque ce qu’il
le soupçonnait d’avoir déjà compris.
— Je pense, Votre Grâce, que s’il voit nos archers en
train de fouiller le champ pour trouver des flèches, eh bien, l’ennemi en
tirera la bonne conclusion.
— Ou, dans ce cas, exposa l’archevêque à l’intention
des autres seigneurs, la mauvaise conclusion.
— Oh, voilà qui est bien ! s’extasia l’un de ces
seigneurs.
— Peut-être serait-ce encore mieux, Votre Grâce,
suggéra timidement lord Outhwaite, si nous faisions venir nos chevaux ?
L’ennemi pourrait alors en déduire que nous nous préparons à fuir ?
L’archevêque n’hésita pas.
— Amenez tous les chevaux ! ordonna-t-il.
— Mais… émit un noble, fronçant les sourcils.
— Que les archers fouillent le sol pour trouver des
flèches, que les écuyers et les pages amènent les chevaux pour les hommes
d’armes ! aboya l’archevêque, ayant parfaitement saisi ce que lord
Outhwaite avait en tête, et pressé de mettre son plan en application avant que
l’ennemi ne décide de battre en retraite vers le nord.
Lord Outhwaite, pour sa part, dispensa lui-même ses ordres
aux archers, et, au bout de quelques instants, ceux-ci se retrouvèrent en masse
dans l’espace séparant les armées, à la recherche des flèches tirées. Certains,
pourtant, s’exécutèrent à contrecœur, grommelant que cette folie les exposait
aux troupes ennemies qui, de nouveau, s’étaient mises à les ensevelir sous les
insultes et les huées.
Un archer qui se trouvait à l’avant fut atteint à la
poitrine par un carreau d’arbalète. Il tomba à genoux, une expression étonnée
sur la figure, la main placée en coquille sous le trait pour recueillir son
sang qui s’écoulait. Puis il se mit à pleurer, et cela ne fit qu’augmenter le
flux de son sang. C’est alors qu’un deuxième homme accouru à sa rescousse fut
atteint à la cuisse par la même arbalète. Les Écossais, raillant les deux blessés,
durent bien vite se mettre à couvert lorsqu’une douzaine d’archers anglais
arrosèrent l’arbalétrier d’une pluie de flèches.
— Économisez vos flèches ! Économisez vos
flèches !
Lord Outhwaite s’approcha au galop et admonesta ses hommes.
— Économisez vos flèches ! Pour l’amour du
ciel ! brailla-t-il de sorte de se faire entendre de l’ennemi.
Un groupe d’Écossais, las de se mettre à l’abri, se
précipita en avant dans une tentative de couper la retraite de lord Outhwaite.
Aussitôt, les Anglais détalèrent pour rejoindre leur ligne. Le vieux lord
éperonna son cheval et échappa facilement à ses poursuivants, qui se vengèrent
en taillant en pièces les deux malheureux blessés. Les témoins écossais, mis en
joie par la course éperdue des Anglais, rivalisaient de gros rires et
d’insultes.
Lord Outhwaite se retourna et regarda les cadavres des deux
archers.
— Nous aurions dû les ramener, se reprocha-t-il.
Nul ne répondit. Quelques archers décochaient aux hommes
d’armes des regards pleins de ressentiment, persuadés qu’on leur avait amené
leurs chevaux pour faciliter leur fuite. Mais lord
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