L'archer du Roi
Outhwaite les détrompa en
donnant aux archers l’ordre de se mettre derrière les hommes d’armes.
— Formez la ligne à l’arrière ! Mais pas
tous ! Nous essayons de leur faire croire que nous sommes à court de
flèches. Si vous n’aviez pas de flèches, vous ne seriez pas à l’avant. Laissez
les chevaux où ils sont !
Ce dernier ordre s’adressait aux écuyers, pages et
serviteurs qui avaient amené les destriers. Les hommes d’armes ne devaient pas
encore les monter. Les chevaux devaient simplement être maintenus à l’arrière,
derrière l’endroit où la moitié des archers s’était mise en formation.
L’ennemi, à la vue des chevaux, devait en conclure que les Anglais, n’ayant
plus assez de flèches, envisageaient la fuite.
C’est ainsi que fut tendu l’appât.
Un silence s’était posé sur le champ de bataille. Les seuls
bruits audibles étaient les gémissements des blessés, les cris des corbeaux et
les pleurs de quelques femmes.
Les moines reprirent leurs psalmodies, mais ils se
trouvaient toujours sur la gauche anglaise, épargnant l’oreille de Thomas
positionné à présent sur la droite. Une cloche sonna en ville.
— Je crains que nous ne soyons trop intelligents,
confia lord Outhwaite à Thomas.
Sa Seigneurie n’était pas homme à savoir garder le silence
et, ne voyant nul autre interlocuteur potentiel au sein de l’aile droite, il
avait choisi son nouvel ami.
— L’intelligence, ça ne marche pas toujours.
— Mais ça a marché pour nous en Bretagne, Monseigneur.
— Vous étiez donc en Bretagne ainsi qu’en
Picardie ? s’enquit Sa Seigneurie, juché sur son cheval et surveillant les
Écossais par-dessus la ligne des hommes d’armes.
— J’ai servi un homme intelligent, là-bas, Monseigneur.
— Et qui était-ce ? demanda-t-il distraitement.
Thomas avait l’impression que lord Outhwaite faisait
semblant d’être intéressé et regrettait peut-être d’avoir engagé la
conversation.
— Will Skeat, Monseigneur, mais maintenant, c’est sir
William, répondit-il. Le roi l’a nommé chevalier pendant la bataille.
— Will Skeat ? répéta le vieux lord, soudain
attentif. Vous avez servi Will ? Par le ciel, vraiment ? Ce cher
William ! Je n’ai pas entendu prononcer ce nom depuis bien un an. Comment
va-t-il ?
— Pas bien, Monseigneur.
Thomas raconta à lord Outhwaite que Will Skeat, un homme du
commun devenu chef d’une troupe d’archers et d’hommes d’armes qui étaient
craints partout où l’on parlait français, avait été grièvement blessé lors de
la bataille de Picardie.
— Il a été emmené à Caen, Monseigneur.
Son interlocuteur fronça les sourcils.
— Dans ce cas, il est sûrement tombé aux mains des
Français ?
— C’est un Français qui l’a emmené là-bas, Monseigneur,
un ami, parce qu’il y a dans cette ville un médecin qui opère des merveilles,
expliqua Thomas.
À la fin de la bataille, au moment où les combattants
pensaient avoir échappé à l’horreur des combats, Skeat avait eu le crâne
ouvert. La dernière fois que le jeune homme l’avait vu, son ami était muet,
aveugle et paralysé.
— Je ne sais pourquoi les Français font de meilleurs
médecins, déplora lord Outhwaite, visiblement contrarié par ce fait, mais il
semble que ce soit le cas. C’est ce que disait mon père, qui était travaillé
par ses humeurs.
— Cet homme est juif, Monseigneur.
— Et par ses épaules. Juif ! Vous avez bien dit
juif ? s’alarma lord Outhwaite. Je n’ai rien contre les juifs,
poursuivit-il, quoique sans conviction, mais je connais une bonne douzaine de
raisons de ne jamais avoir affaire à un médecin juif.
— Vraiment, Monseigneur ?
— Mon cher ami, comment pourraient-ils exploiter le
pouvoir des saints ? Ou les propriétés curatives des reliques ? Ou
l’efficacité de l’eau bénite ? Le simple fait de prier est un mystère pour
eux. Ma mère, que Dieu ait son âme, souffrait de grandes douleurs aux genoux.
Trop de prières, à mon avis. Son médecin lui ordonna d’envelopper ses jambes
dans des linges qui avaient été placés sur la tombe de saint Cuthbert et
d’adresser des prières à saint Grégoire trois fois par jour, et cela
réussit ! Cela réussit ! Un juif ne pourrait prescrire une telle
médication, n’est-ce pas ? Et le ferait-il que ce serait blasphématoire et
voué à l’échec. Je dois dire que je trouve mal avisé à l’extrême
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