L'archer du Roi
même. Que cette matinée semblait loin déjà ! Il éperonna sa monture,
chassant d’un coup de pied un mendiant qui s’était accroché à sa jambe en
demandant la charité. Le malheureux s’écroula sous la violence du choc.
Le fracas de la bataille prenait de l’ampleur. Le dominicain
leva sur la colline des yeux distraits. Si les Anglais et les Écossais avaient
envie de se massacrer mutuellement, grand bien leur fasse. Il avait des sujets
plus importants en tête, des sujets qui avaient trait à Dieu et au Graal, aux
deux et à l’enfer. Lui aussi avait des péchés sur la conscience, mais il avait
l’assurance qu’ils seraient absous par le Saint-Père, et le ciel lui-même se
montrerait compréhensif lorsqu’il aurait trouvé le Graal.
Les portes de la ville, bien que solidement gardées, étaient
ouvertes de façon à permettre le transport des blessés à l’intérieur et
l’approvisionnement des belligérants en vivres. Les gardes, des hommes âgés,
avaient reçu l’ordre de s’assurer qu’aucun Écossais ne tenterait d’entrer, mais
ils n’avaient pas été chargés d’empêcher les bonnes gens de sortir. Aussi ne
prêtèrent-ils aucune attention au prêtre hagard, au visage tuméfié, qui sortait
de la ville juché sur un cheval de guerre, ni à son élégant valet.
Taillebourg et l’Arlequin sortirent donc de Durham sans
encombre. Ils prirent la direction d’York, éperonnèrent leurs montures et,
tandis que le bruit de la bataille était répercuté en écho par le rocher de la
ville, partirent au galop vers le sud.
On était au milieu de l’après-midi lorsque les Écossais
reprirent les hostilités, mais leur assaut, contrairement au premier, ne
s’engagea pas sur les talons des archers en fuite. Cette fois, les archers les
attendaient, prêts à recevoir la charge, et les flèches s’abattirent sur eux
comme un vol d’étourneaux. Le flanc gauche écossais, qui avait été si près
d’enfoncer les lignes anglaises, devait faire face au double d’archers, et la
charge commencée de façon si confiante ralentit, puis s’arrêta, tandis que les
hommes s’abritaient à croupetons derrière leurs écus.
La droite écossaise n’avança jamais. La division du roi, au
centre, fut arrêtée à cinquante pas du mur de pierre derrière lequel une armée
d’archers l’arrosait d’un incessant déluge de flèches. Les Écossais ne
pouvaient ni battre en retraite ni avancer. Pendant quelque temps, les longues
flèches allèrent se planter dans les boucliers et transpercer les corps exposés
par inadvertance. Enfin, les hommes de lord Robert Steward reculèrent, se
mettant hors de portée ; la division du roi suivit et une nouvelle pause
intervint.
Les tambours se turent et les insultes cessèrent. Le silence
s’installa sur le champ de bataille à la terre rougie. Les seigneurs écossais,
du moins ceux qui étaient encore en vie, se rassemblèrent sous la bannière de
leur roi et l’archevêque d’York, voyant ses ennemis se réunir en conseil,
convia ses propres seigneurs à faire de même.
Les Anglais étaient sombres. L’ennemi, selon eux, ne
s’exposerait jamais à ce que l’archevêque décrivait comme un troisième baptême
de flèches.
— Ces scélérats vont s’enfuir vers le nord, prédit
l’archevêque. Que Dieu damne leurs maudites âmes.
— Dans ce cas, nous les suivrons ! proclama lord
Percy.
— Ils se déplacent plus vite que nous, objecta
l’archevêque.
Il avait enlevé son heaume, dont la doublure de cuir avait
imprimé dans ses cheveux une trace qui encerclait son crâne.
— Nous allons massacrer leur piétaille ! se promit
un autre lord avec un rictus carnassier.
— Au diable la piétaille ! jeta l’archevêque,
impatienté par ces enfantillages.
Son désir était de capturer les lords écossais, les hommes
montés sur les chevaux les plus agiles et les plus chers, car c’étaient leurs
rançons qui l’enrichiraient. Il souhaitait particulièrement capturer des nobles
comme le comte de Menteith qui avait fait allégeance à Edouard d’Angleterre, et
dont la présence dans les rangs ennemis prouvait la félonie. De tels
personnages ne seraient pas rançonnés, mais exécutés à titre d’exemple pour
d’autres parjures. S’il remportait la victoire, il pourrait mener sa petite
armée jusqu’en Écosse et s’emparer des États des félons. Il leur prendrait
tout : le bois de leurs parcs, les draps de leurs lits,
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