L'archer du Roi
plus rien ! protesta son ami.
— Tu aurais dû y penser avant de labourer le champ, le
blâma Thomas, qui se rappela avoir été exactement dans la même situation avec
une fille de Hookton.
Il retourna dans la salle, où un harpiste et un flûtiste
jouaient de la musique pour les hôtes qui cuvaient leur vin.
— Il nous faut partir loin d’ici, dit-il, mais je ne
sais pas où, poursuivit-il.
— Tu as dit que tu voulais aller à Calais ?
Thomas haussa les épaules :
— Tu crois que Taillebourg va nous chercher
là-bas ? objecta-t-il.
— Ce que je crois, c’est que dès qu’il saura que tu as
ce livre, il te poursuivra jusqu’en enfer.
Robbie avait raison, mais ce livre ne lui avait pas été
d’une grande utilité jusque-là. Il ne disait nulle part avec certitude que le
père Ralph possédait le Graal, pas plus qu’il ne décrivait quelque endroit où
le chercher. Or, les deux jeunes gens avaient cherché partout. Ils avaient
passé les grottes au peigne fin, ainsi que les falaises de Hookton, et
n’avaient trouvé que du bois flottant, des berniques et des algues. Nul calice
d’or n’était dissimulé dans les galets. Aussi, où aller maintenant ? Où
chercher ?
À Calais, Thomas pourrait rejoindre l’armée, mais il doutait
que Taillebourg le cherche au cœur de la soldatesque anglaise. Peut-être
devrait-il retourner en Bretagne. Or, ce n’étaient ni le Graal ni la nécessité
d’affronter Taillebourg qui l’attiraient à La Roche-Derrien, mais la pensée que
Jeannette Chénier pût être rentrée chez elle. Il pensait souvent à elle, à ses
cheveux noirs, à son caractère fier et plein de fougue, et à chaque fois, il se
sentait coupable envers Eléonore.
La neige ne resta pas. Elle fondit, et une pluie drue arriva
de l’ouest pour cingler la côte du Dorset.
Un gros bateau anglais s’était échoué sur les galets de
Chesil. Thomas et Robbie se rendirent en hâte sur la plage à bord d’un chariot
appartenant à sir Giles et, avec l’aide de Jake Churchill et de deux de ses
fils assistés de plusieurs autres solides gaillards, ils sauvèrent six ballots
de laine qu’ils transportèrent jusqu’à Down Mapperley en les remettant à sir
Giles, qui, grâce à cela, gagna les revenus d’une année en une journée.
Et le lendemain matin, le prêtre français arrivait à
Dorchester.
7
La nouvelle leur fut annoncée par George Adyn.
— Tu m’as bien dit d’ouvrir l’œil sitôt que je verrais poindre
des étrangers, dit-il à Thomas, eh bien, ce coquin-là, il m’a tout l’air d’être
un vrai étranger. Habillé comme un prêtre, pour sûr, mais va savoir ?
C’est un vagabond, pour sûr. Suffit que tu me le dises (il fit un clin d’œil à
Thomas) et on lui fait tâter du fouet, à ce gaillard-là, et après, on te
l’expédie à Shaftesbury.
— Et là-bas, qu’en feront-ils ? s’enquit Robbie.
— Ils lui donneront le fouet derechef et ils le
chasseront.
— C’est un dominicain ? demanda Thomas.
— Est-ce que je sais ? Il parle un galimatias de
barbare, pour sûr. Pas comme un chrétien.
— De quelle couleur est sa robe ?
— Noire, bien sûr.
— Je vais aller lui parler, décida Thomas.
— Il baragouine comme un païen, pour sûr. Votre
Honneur !
Ces derniers mots étaient destinés à saluer sir Giles, et
Thomas dut attendre que les deux hommes se fussent entretenus de la santé de
divers cousins, neveux et autres parents. Aussi approchait-on de midi lorsqu’il
entra dans la bonne ville de Dorchester, accompagné de Robbie, en se répétant pour
la millième fois que c’était décidément une ville bien plaisante et qu’il
ferait bon y vivre.
Le prêtre fut amené dans la petite cour de la geôle. C’était
une belle journée. Deux merles sautillaient sur le mur et un aconit fleurissait
dans un coin de la cour. Le prêtre se révéla un homme jeune, très petit, doté
d’un nez épaté, d’une paire d’yeux protubérants et d’une chevelure noire en
bataille. Il portait une robe si élimée, si déchirée et si tachée qu’il n’était
pas étonnant que les constables eussent pris cet être pour un vagabond. Cette
erreur avait eu le don de susciter le courroux du prêtre.
— Est-ce ainsi que les Anglais traitent les serviteurs
de Dieu ? L’enfer est un lieu encore trop bon pour vous autres
Anglais ! Je le dirai à l’évêque qui le dira à l’archevêque qui en
informera le Saint-Père et
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