L'archipel des hérétiques
des
catastrophes dont l'archipel avait été le théâtre, Pelsaert lança les
interrogatoires dès l'après-midi. Le plus clair de ses informations lui vint «
d'un certain Jan Hendricxsz, soldat, originaire de Brème », qui confessa
aussitôt et de son propre chef avoir tué « de dix-sept à vingt personnes » sur
ordre de Jeronimus. Hendricxsz avait été l'un des premiers à se joindre à la
conspiration sur le Batavia. Il avait une connaissance précise de tous
les projets et strata-gèmes de Cornelisz. Sous le feu des questions du commandeur ,
l'Allemand ne tarda pas à révéler non seulement les détails les plus macabres
des massacres perpétrés dans les Abrolhos, mais le complot initial visant à
s'emparer du Batavia , ainsi que le rôle qu'y avait tenu le capitaine, et
que Pelsaert soupçonnait depuis déjà longtemps sans en avoir eu confirmation.
Muni de ces informations, le commandeur n'avait plus qu'à faire
comparaître les autres mutins en les confrontant à des accusations précises et
circonstanciées.
« Nous avons ainsi appris, de leur propre aveu et d'après
les témoignages de tous les survivants, qu'ils avaient noyé, assassiné et fait
périr avec toutes sortes de cruauté plus de cent vingt personnes, hommes,
femmes ou enfants, et que, parmi ceux qui étaient toujours vivants, les
principaux coupables étaient : Lenert Michielsz Van Os, soldat, Mattys Beer de
Munsterbergh, cadet 18 ,
Jan Hendricxsz de Brème, soldat, Allert Janssen d'Assendelft, canonnier, Rutger
Fredricx de Groningue, serrurier, Jan Pelgrom de Bye, de Bommel, garçon de
cabine, Andries Jonas de Luick, soldat - et consorts 14 . »
D'autres noms furent prononcés. Ceux des conseillers David
Zevanck, Coenraat Van Huyssen et Jacob Pietersz émergèrent à plusieurs reprises
au cours des interrogatoires, mais les déclarations de Jan Hendricxsz et de ses
acolytes semblaient concorder sur au moins un point : Jeronimus Cornelisz était
l'unique source de tout le mal.
Vers la fin de l'après-midi, Hayes vint livrer Jeronimus.
Le soi-disant capitaine général arriva à bord du Sardam sous bonne
escorte. Privé de son pouvoir et de sa garde rapprochée, il n'était plus qu'une
sorte de bête curieuse. Mais même humilié, sale, ligoté et puant la charogne,
même vêtu de ses riches haillons souillés, il gardait encore un peu de son
aura, de cet étrange pouvoir de fascination qui avait rassemblé les mutins
autour de lui et les avait poussés à tuer pour lui plaire. Deux semaines de
corvée d'éplu-mage du gibier au fond d'un trou infect n'avaient pas suffi à
venir à bout de sa faconde, de sa vivacité d'esprit ni de son astuce. À tel
point que Francisco Pelsaert, esprit certes moins vif et moins retors, ne
savait plus que faire de son ex-adjoint.
« Je l'ai considéré avec grand chagrin, écrit le commandeur. Cette canaille avait
beau avoir causé tant de catastrophes et fait couler tant de sang, il n'aurait
pas demandé mieux que de continuer... Je l'examinai en présence du conseil de
bord, lui demandant comment il avait pu laisser le démon l'entraîner si loin de
tout sentiment humain, au point de commettre des actes qui n'avaient jamais été
perpétrés par des chrétiens avec ce degré de sauvagerie, sans l'excuse de
vraies nécessités, telles que la soif ou la faim, mais uniquement par désir de
faire couler le sang.
» 11 répondit qu'il n'était pas à blâmer de ce qui était
advenu et que la faute en revenait à David Zevanck, Coenraat Van Huyssen et à
une poignée d'autres, qui avaient déjà été tués, parce que c'était eux qui
l'avaient poussé et contraint à le faire, et qu'il avait dû faire pas mal de
choses pour sauver sa propre vie. Il nia avoir jamais eu l'intention de
participer au complot de détour-nement du Batavia, et quant à celui visant à s'emparer du bateau de sauvetage que
l'on attendait, il désigna Zevanck comme son instigateur, précisant que, s'il
avait fait mine d'y consentir, c'était tout d'abord pour assurer sa propre
sécurité, et ensuite parce qu'il croyait qu'aucun bateau ne viendrait jamais
les chercher - et enfin, parce que le capitaine Ariaen Jacobsz avait
l'intention de jeter le commandeur par-dessus bord [pendant le voyage en chaloupe, à destination de
Java]. C'est ainsi qu'il tâcha de se disculper, énonçant avec aisance les pires
mensonges, et soulignant qu'à aucun moment il n'avait pris part aux meurtres.
Il en appela à maintes reprises aux autres mutins
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