L'archipel des hérétiques
direction d'un prédicateur frison, du nom de Menno Simmons, ils
en prirent la tête 45 . Les mennonites, comme on les appelait,
rejetaient la polygamie comme l'usage de la force. Ils refusaient de porter les
armes et ne complotaient pas contre l'État. Vers le milieu du siècle, ce
courant avait fait tant d'adeptes que les termes « mennonite » et « anabaptiste
» étaient désormais synonymes. Pendant les quelques décennies qui suivirent, la
bienveillante transparence des mennonites apporta la preuve que le mouvement
anabaptiste avait cessé d'être un danger.
Entre 1570 et 1609, les persécutions se firent plus rares
et, à partir de 1610, la plupart des cités frisonnes et hollandaises
recommencèrent à tolérer la présence de groupes anabaptistes dans leurs murs.
Mais, même à Leeuwarden, les mennonites n'obtinrent jamais une totale liberté
de culte. Comme les juifs et les catholiques, ils ne pouvaient se réunir qu'en
privé et dans la plus grande discrétion, dans le cadre d'églises plus ou moins
secrètes. Il leur était interdit de faire du prosélytisme, et d'ouvrir leurs
offices au public. Mais tout du moins en Frise, et dans la plupart des
professions, l'appartenance à la foi mennonite n'était plus un obstacle au
succès.
Nous savons que Cornelisz a déclaré au moins une fois
n'avoir jamais été baptisé. Les archives de Haarlem indiquent que sa femme
était mennonite. La conjonction de ces deux éléments nous incline à penser que
Cornelisz était né de parents anabaptistes et fut lui-même membre de cette Église
jusqu'au début de son âge adulte - ce qui ne signifie nullement qu'il ait
adhéré aux enseignements de Menno Simmons. Son mariage avec une mennonite
suggère que lui-même, et donc ses parents, se considéraient comme mennonites.
Mais la plupart des membres de cette Église se faisaient baptiser entre
dix-huit et vingt-trois ans, alors que Cornelisz atteignit la trentaine sans
recevoir ce sacrement - peut-être parce qu'il avait été déçu par la secte et
avait cessé d'en être membre, mais c'est peut-être aussi, tout simplement, que
Cornelisz et ses parents avaient repris et appliquaient certaines idées
anabaptistes. Il ne serait pas impossible que la famille de l'apothicaire fut
l'une de celles qui trouvèrent refuge en Frise dans les derniers jours du
mouvement radical. Il paraît plausible que le jeune Cornelisz ait entendu ses
parents discuter durant toute son adolescence des théories anabaptistes les
plus radicales, puisqu'il devait manifester par la suite certaines accointances
avec les convictions munstérites - en particulier avec celles concernant la
justification du meurtre, ou la mise en commun des biens et des femmes 46 .
Mais l'influence anabaptiste, qui a assurément contribué à sa formation dans
son enfance, semble s'être estompée durant son âge adulte. Les raisons de ce
revirement demeurent obscures. Peut-être pourrait-on l'expliquer par son entrée
à l'École Latine qui, en lui faisant découvrir l'humanisme et les idées des
philosophes antiques, l'encouragea à se forger ses propres opinions.
Lorsque Cornelisz vint s'installer à Haarlem, d'autres
influences et d'autres courants de pensées avaient probablement commencé à le
modeler. Une fois acclimaté à cette nouvelle cité, il ne tarda pas à découvrir
qu'elle offrait des possibilités bien plus vastes que Bergum ou Leeuwarden, qui
croupissaient dans l'étroitesse de leurs conceptions provinciales. A Haarlem,
certains membres des classes fortunées menaient leur propre quête philosophique
et spirituelle, sans craindre d'être inquiétées par l'Église réformée de Hollande.
Il suffisait de connaître les personnes adéquates pour être admis dans certains
cercles, où l'on pouvait librement discuter d'idées nouvelles, fussent-elles
délibérément hérétiques. Travaillant sur la Grote Houtstraat, Cornelisz
côtoyait quotidiennement certains des citoyens les plus éminents de Haarlem. Il
était donc on ne peut mieux placé pour se faire ce genre de relations. Et c'est
apparemment ce qu'il fit.
L'un de ces endroits publics propices à la libre
discussion était un club d'escrime d'Amsterdam, tenu par un certain Giraldo
Thibault 47 . Il en existait certes bien d'autres - mais l'avantage du
club de Thibault, c'est que nous avons gardé trace de ce qui s'y passait.
L'endroit était des plus représentatifs, et n'avait d'exceptionnel que l'éminence
de sa clientèle.
Ce salon, situé
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