L'archipel des hérétiques
Provinces-Unies parvinrent aux oreilles de
plusieurs éminentes personnalités calvinistes et, l'année suivante, un accord
liant secrètement les rosicruciens français et hollandais fut prétendument
découvert dans une maison de Haarlem 63 .
La menace, réelle ou montée de toutes pièces, passait les
limites du tolérable. En janvier 1624, la cour de Haarlem, qui était l'instance
judiciaire suprême de la province, reçut l'ordre d'enquêter sur le mouvement
rosicrucien M .
La mission semblait à première vue impossible, mais les
magistrats de Haarlem tenaient une piste. Toujours selon la rumeur publique,
corroborée par certains racontars, les Rose-Croix de Hollande avaient établi
leur quartier général dans une maison de Haarlem où ils tenaient nuitamment
conseil, sur la Zijlstraat - une rue des beaux quartiers. Les juges furent en
outre informés « qu'un certain Thorentius pouvait être considéré comme
l'un des membres les plus influents de la secte ». Forts de ces renseignements,
les magistrats lancèrent une enquête qui devait les tenir occupés pendant les
quatre années suivantes.
Ce mystérieux « Thorentius » n'était pas bien difficile à
identifier, et le peintre scandaleux fut enfin arrêté à Haarlem à l'été 1627,
soit trois ans après les premières dénonciations enregistrées contre lui.
Entre-temps, les autorités civiles avaient fait un certain nombre de
découvertes concernant Torrentius, son cercle d'amis et son penchant pour les
débats théologiques bien arrosés. Il fut accusé d'hérésie et d'appartenance à
l'Ordre Rosicrucien, et soumis à non moins de cinq interrogatoires successifs.
Il admit spontanément avoir prétendu, à titre de plaisanterie, détenir des
pouvoirs magiques, mais réfuta fermement toutes les autres charges qui pesaient
sur lui. Les interrogatoires se poursuivirent d'août à décembre, sans apporter
de nouveaux éléments au dossier.
A la fin de l'automne, les juges durent se lasser de
l'obstination de Torrentius, car ils déposèrent auprès de la cour de Haarlem
une demande d'autorisation pour recourir à des méthodes plus musclées. Elle
leur fut accordée d'office et, le 24 décembre 1627, Torrentius fut remis aux
mains d'un certain Master Gerrit, l'exécuteur des hautes œuvres de Haarlem. On
lui lia des poids aux jambes, tandis que quatre hommes le hissaient par des
cordes passées à ses poignets et son interrogatoire se poursuivit dans ces
conditions inconfortables. Puis il fut écartelé sur un chevalet, jusqu'à
luxation des articulations de ses membres. Un troisième supplice, qui le blessa
à la mâchoire, le laissa temporairement dans l'incapacité de se nourrir. On
essaya même de lui infliger des blessures par balles. Mais les efforts des
bourreaux restèrent sans effets. Le peintre supporta toutes ces tortures en
persistant dans ses déclarations et continua à nier toute appartenance à
l'Ordre Rosicrucien. A des amis du peintre qui lui demandaient des nouvelles de
son « patient » à la Taverne de la Demi-Lune d'Or, où il avait fait escale
après sa journée de travail, Master Gerrit répondit que le prisonnier l'avait
impressionné par sa constance et sa franchise. Les seules paroles qui lui
eussent échappé étaient : « Oh, Seigneur... Oh, mon Dieu... ! »
En l'absence d'aveux, les bourgmestres de Haarlem durent
recourir à des procédures exceptionnelles pour obtenir le verdict qu'ils
escomptaient 65 . En janvier 1628, alors qu'il n'était toujours pas
remis des traumatismes de son interrogatoire, Torrentius fut traîné devant le
tribunal et confronté à trente et un chefs d'accusation extra ordinaris, une procédure rarement appliquée : il n'était pas autorisé à organi-ser sa
propre défense et ne pourrait faire appel à la sentence que prononcerait la
cour. Puis les juges entendirent une longue litanie de témoignages qui
présentaient le peintre comme un hérétique éhonté, doublé d'un débauché, dénué
de tout sens moral. On imagine que le prisonnier eut tôt fait d'être reconnu
coupable, après une audience des plus rondement menées. Le procureur demanda le
bûcher, mais les échevins de Haarlem refusèrent de prononcer la peine capitale.
Torrentius fut condamné à vingt ans de prison, et la sentence fut appliquée
sur-le-champ.
A l'évidence, le silence du peintre sous la torture, en
empêchant ses juges de le condamner pour appartenance à l'Ordre Rosicrucien,
lui avait évité le pire. Ce chef
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