L'archipel des hérétiques
Zélande et le Zuyder Zee virent donc croître
leur richesse et leur population, même si dans un premier temps, ce furent les
marchands de Hol-lande méridionale qui accumulèrent les plus grosses fortunes.
Anvers, Bruges et Gant, établies de longue date comme centres du commerce de la
laine et du coton, supplantèrent longtemps Amsterdam - ainsi que Middelburg, sa
grande rivale de Zélande. La prospérité des grandes villes du Sud attira des
marchands spécialisés dans les denrées rares, telles que le sucre ou les
épices, produits de luxe dont le commerce était nettement plus lucratif que
celui des matières premières ordinaires.
Les marchands de Hollande du Sud conservèrent leur
position dominante jusqu'à la seconde moitié du xvi e siècle. Il
fallut attendre la fin des années 1570 pour que les provinces du Nord
commencent à menacer leur suprématie - et ce, d'une part, à cause de la
rébellion hollandaise qui éclata en 1572, et se prolongea, par intermittence,
jusqu'en 1648. Avant la guerre, Amsterdam comptait environ trente mille
habitants. Ce chiffre, considérable pour l'époque, ne représentait que le tiers
de la population d'Anvers et restait nettement inférieur à celui de Bruxelles,
de Gant ou de Bruges. En 1600, la population d'Amsterdam avait doublé et, en
1628, elle atteignait les cent dix mille habitants. Amsterdam avait dépassé
toutes ses rivales du Sud et comptait désormais parmi les quatre principales
métropoles d'Europe 3 .
En un siècle où la peste et les autres épidémies
ravageaient les grandes cités avec la sinistre régularité que l'on sait, et
pouvaient emporter d'un coup le cinquième de leur population, une telle
explosion démographique ne pouvait provenir que d'une immigration massive. A
cette époque, Amsterdam accueillit des dizaines de milliers de nouveaux
citoyens. Quelques-uns, tel Cornelisz, étaient originaires de la République de
Hollande mais le plus gros des immigrants étaient des réfugiés protestants qui
fuyaient la Hollande méridionale, chassés par la guerre et les persécutions
espagnoles.
Parmi ces réfugiés, se trouvaient de nombreux marchands
des grandes cités flamandes et wallonnes, riches à la fois de leur capital et
de leur expérience. Ils contribuèrent à asseoir la puissance commerciale
d'Amsterdam et l'on vit s'y développer une nouvelle banque, un système de
cotations boursières, et toute l'infrastructure d'une économie marchande. Vers
1620, la ville était devenue sans conteste le plus grand entrepôt 4 d'Europe. Pendant le premier tiers du xvii e siècle, cet afflux
d'argent et de compétences favorisa l'exploitation d'opportunités et de marchés
nouveaux - dont le plus juteux fut le commerce des épices.
Pourquoi les épices ? En fait, toute la ville baignait
dans des relents de viande faisandée. En 1600, les techniques de conservation
des aliments n'en étaient qu'à leurs premiers balbutiements et la plupart des
morceaux exposés à l'étal des bouchers ou suspendus dans les celliers de toute
l'Europe dégageaient des odeurs de rance, voire de pourriture. Or, les seuls
produits qui fussent capables de masquer cette puanteur étaient précisément les
épices, telles que le poivre, qui devinrent donc les denrées de luxe les plus
recherchées de l'époque.
Restait aux marchands à résoudre cet épineux problème de
logistique : comment acheminer vers les ports d'Europe du Nord ces plantes qui
étaient cultivées et récoltées dans l'étroite zone du Sud-Est asiatique
s'étirant depuis l'Inde jusqu'à la Nouvelle-Guinée 4 . Bien que
connues depuis la plus haute antiquité, les épices n'avaient jamais été
largement commercialisées, et demeuraient réservées à une classe privilégiée.
Pour arriver jusqu'en République de Hollande, elles devaient parcourir
d'énormes distances. La récolte annuelle était acheminée à dos d'animaux ou
dans de petites embarcations jusqu'aux principaux ports exportateurs de Chine,
d'Indonésie, ou de la côte de Coromandel, où les marchands asiatiques, perses
ou arabes l'achetaient à bon prix. De là, les épices partaient vers l'ouest et
le nord, en direction du quartier italien de Constanti-nople. C'étaient ensuite
les marins de Venise et de Gênes qui transportaient les précieuses épices
jusqu'aux marchés d'Italie, d'abord, puis vers ceux de France et d'Espagne, et
enfin jusqu'aux cités des Provinces-Unies, où elles servaient à assaisonner
rôtis et ragoûts, à
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