L'archipel des hérétiques
l'échec diplomatique
du marchand d'Anvers. L'un des principaux objectifs de sa mission était
d'asseoir la présence hollandaise auprès de la cour du Grand
Moghol et d'assurer à la VOC un traitement privilégié
auprès de sa majesté l'empereur Jahangir (« Celui qui tient le monde ») 51 .
Et, sur ces deux points, Pelsaert n'avait apparemment pas donné satisfaction.
Il pouvait pourtant se prévaloir de circonstances
atténuantes. En 1624, Jahangi avait quitté Agra pour Lahore, ce qui ne
facilitait pas l'accès des marchands hollandais à la cour moghole. Cela
n'empêcha nullement Pieter Van den Broecke, installé à Surat, de laisser planer
un doute sur les talents de diplomate du subrécargue. Dès 1625, Van den Broecke
décida d'envoyer à Lahore une seconde mission, dirigée par un certain Hendrick
Vapoer, qui se révéla très efficace dans ses relations avec les autorités
mogholes et reçut, en récompense de ce succès, le poste de Pelsaert à Agra.
On imagine le dépit et la colère de ce dernier -surtout
lorsqu'il apprit que le salaire de Vapoer serait le double du sien. Mais il n'y
pouvait pas grand-chose. À l'expiration de son contrat, en mars 1627, il
retourna à Surat par voie de terre. Il rejoignit la côte en mai et, là, engagea
une querelle avec Van den Broecke, d'un naturel pourtant débonnaire, mais à qui
il reprochait amèrement la nomination de Vapoer. Van den Broecke répara ses
torts du mieux qu'il put, et supplia son ami et protégé de rester aux Indes.
Mais Pelsaert refusa net et insista pour retourner aux Pays-Bas.
Toujours furieux du traitement que lui avait infligé la
VOC, le subrécargue s'embarqua à Surat sur le Dordrecht, dix jours avant
la Noël. Il disposait d'une cabine privée et naviguait comme invité du
président Grijph, commandeur de la flotte. En attendant l'appareillage,
Pelsaert passa son temps en compagnie de Grijph, de Wollebrand Geleynssen de
Jongh 52 , un collègue subrécargue, et du capitaine du Dordrecht, tout récemment engagé à ce poste - un certain Ariaen Jacobsz 53 .
Le Dordrecht étant son premier poste de quelque
importance, après une décennie de navigation dans cette partie du globe,
Jacobsz aurait dû se soucier de faire bonne impression, mais le climat de
Surat, d'une moiteur torride, semblait faire ressortir ce qu'il y avait de pire
en lui. Pour une raison qui nous échappe, Pelsaert lui portait sur les nerfs -
peut-être à cause du côté suffisant du personnage. En quelques jours, les
relations entre les deux hommes atteignirent un degré de tension alarmant.
La querelle qui allait provoquer tant de dégâts à bord du Batavia eut pour origine un incident des plus banals. Après dix ans passés
dans le climat éprouvant des Indes, Jacobsz avait contracté la mauvaise
habitude de boire plus que de raison et refusait de se modérer, fût-ce en
présence de trois éminents représentants de la Compagnie.
Dans le port de Surat, une nuit que le capitaine était fin
soûl, il insulta copieusement Pelsaert, devant les autres marchands. Le
lendemain, le commandeur Grijph dut le rappeler à l'ordre, « en lui
faisant remarquer que ce n'était pas une façon de revenir paisiblement au sein
de la mère patrie, et qu'il allait devoir changer de conduite ». Jacobsz rendit
Pelsaert responsable de ces réprimandes publiques et, comme il devait s'en
expliquer plus tard, conçut une rancune tenace pour le subrécargue.
La présence de Grijph durant ce voyage de retour aux
Pays-Bas empêcha les choses de s'envenimer davantage et Pelsaert retrouva le
sol natal en juin 1628. En juillet et août, il engagea une véritable campagne
pour reconquérir les faveurs des Dix-sept. Il avait déjà rédigé deux rapports
détaillés : une chronique, et une sorte d'exposé concernant le commerce aux
Indes, afin de se poser en expert des affaires indiennes 54 . Il
présenta en outre de nouvelles suggestions pour se rallier les faveurs des
empereurs moghols. Jahangir n'avait jamais manifesté un grand intérêt pour les
cadeaux des ambassadeurs occidentaux. Ce qu'il aimait par-dessus tout, c'était
l'argent et les bijoux.
Le projet de Pelsaert était donc d'envoyer aux Indes
d'importantes quantités d'argenterie 55 . Ces objets, qu'il désignait
sous le sobriquet de «joujoux », seraient judicieusement choisis et conçus pour
correspondre au goût des locaux, décrits dans son exposé. Ainsi aurait-on la
garantie de faire grande impression sur les Moghols. Ces
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