L'archipel des hérétiques
chargement achevées, vinrent Cornelisz et l'équipe des
marchands de la VOC.
C'était probablement la toute première fois que
l'apothicaire frison s'aventurait sur un navire de cette taille. Ses
impressions, comme celles de tout terrien ordinaire, durent être un mélange
d'étonne-ment émerveillé, devant les proportions colossales du bâtiment, et
d'inquiétude devant le tourbillon de
frénésie et de chaos qui semblait s'être abattu sur le
pont 3 . Des militaires allemands, abasourdis, ont laissé des
descriptions représentatives de l'effet que produisaient ces indiaman sur quiconque les approchait pour la première fois. Lorsqu'on les découvrait
depuis une chaloupe, au niveau de l'eau, l'impression avait quelque chose
d'étourdissant. C'étaient de véritables forteresses flottantes. Les passagers
qui accostaient pour y embarquer devaient se sentir tout petits, devant ces
murailles de bois qui se dressaient sur les eaux, couronnées de cette forêt de
mâts et de vergues, culminant à près de soixante mètres au-dessus de leur tête.
Mais le tumulte qui régnait sur le pont supérieur devait
être encore plus déconcertant - le désordre, les cris, les allées et venues des
matelots qui couraient en tous sens, pour exécuter des ordres inintelligibles
au commun des mortels. En prenant pied sur le pont, agité du constant
balancement de la houle d'automne, qui n'avait rien de particulièrement
agréable, Cornelisz et ses collègues durent prendre obscurément conscience que
leur destin serait désormais lié à celui du navire et du voyage, avec toutes
les conséquences qui pourraient en découler.
Face à un tel grouillement, ce ne devait pas être un mince
réconfort pour les passagers novices que de penser qu'ils n'auraient pas à
partager leur cabine avec la populace qu'ils voyaient s'affairer autour d'eux.
Les cabines les plus confortables, situées à la poupe, revenaient d'office aux
marchands de la VOC, et la section située en arrière du grand mât deviendrait
le territoire réservé des officiers, des commis et de leurs serviteurs. Au
moins cet arrange-ment leur garantissait-il un minimum d'intimité, tout en
réduisant pour eux les risques d'inconfort, puisque c'était à l'arrière du
navire que les mouvements de roulis et de tangage de la coque se faisaient le
moins sentir. Pendant les neuf mois que durerait le voyage, ces avantages, à
première vue accessoires, finiraient par prendre une importance démesurée.
Les meilleurs quartiers étaient donc attribués aux
marchands et aux officiers de plus haut grade. Francisco Pelsaert et Ariaen
Jacobsz avaient en commun le privilège de pouvoir utiliser la Grande Cabine 4 ,
située au niveau du pont supérieur. C'était de loin la plus grande pièce du
bord et la mieux éclairée, puisqu'elle seule était équipée non pas de hublots
mais de véritables fenêtres à claire-voie. Elle était meublée d'une longue
table pouvant accueillir de quinze à vingt personnes. C'est là que Pelsaert et
ses assistants administratifs géraient les affaires courantes. Les officiers et
les principaux membres de l'équipe commerciale y prenaient leur repas. Les
quartiers des autres officiers étaient eux aussi situés à l'arrière du navire.
Jeronimus, ainsi qu'une demi-douzaine de passagers distingués, étaient logés
dans une série de petites cabines formant un véritable labyrinthe, au niveau du
premier pont supérieur, où les pièces étaient à la fois plus exiguës et plus
spar-tiates. Les sous-officiers de rang inférieur et les simples employés de la
Compagnie se partageaient une grande cabine dortoir, juste au-dessous de la
timonerie.
La VOC avait fait preuve d'une pingrerie toute
particulière sur le chapitre du confort. Les cabines étaient à peine chauffées
et à peine mieux aérées que le reste du bâtiment. Dans le sens de la largeur,
une dame n'aurait pu étendre les bras sans se heurter aux cloisons - mais du
moins étaient-elles équipées de véritables couchettes, et non de simples
paillasses. On pouvait y installer un petit bureau et un fauteuil, et il y
avait des garçons de cabine, chargés d'y apporter les repas et de vider les
pots de chambre.
Les cabines étaient elles aussi attribuées selon le rang,
et les règles de préséance hiérarchiques. La plus confortable, après celles de
Pelsaert et de Jacobsz, dut revenir à Jeronimus en sa qualité d'intendant
adjoint, puisqu'il était, après le subrécargue, l'officier de
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