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L'armée perdue

L'armée perdue

Titel: L'armée perdue Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Valerio Manfredi
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rien. Les ordres de Cheirisophos valent pour tous : il est le général en chef. Et puis, ces hommes méritent leur châtiment. Il se rendront compte de ce que signifie ne pas avoir de toit la nuit, en cette saison, dans cette région. »
    Je songeai à leur porter des couvertures, ce dont Xéno s’efforça de me dissuader. Je m’installai alors près de la fenêtre et jetai de temps en temps un coup d’œil vers le ciel : des nuages venaient de l’ouest, mais ils étaient encore loin. S’ils n’arrivaient pas à temps, ces garçons mourraient.
    Xéno me raconta une histoire qu’on représentait dans les théâtres, l’histoire d’une jeune fille qui avait désobéi au roi de sa cité par pitié pour deux garçons, ses frères.
    « Avant de mourir, le roi d’une cité antique dénommée Thèbes avait laissé son royaume à ses deux fils, à condition qu’ils règnent une année chacun. Au terme de l’année, le roi quitterait la ville et son frère y pénétrerait afin de lui succéder. Hélas, l’avidité du pouvoir l’emporta, et quand Polynice, le second, se présenta, Étéocle refusa de s’en aller. Polynice leva une armée menée par sept rois et fit le siège de Thèbes.
    « Les guerriers des deux camps s’affrontèrent furieusement, mus par une haine de plus en plus impitoyable. Les deux frères décidèrent de s’affronter en duel et moururent tous deux de leurs blessures.
    « Le nouveau roi, Créon, interdit de donner une sépulture à leurs cadavres afin que cela servît d’avertissement à tous ceux qui enfreindraient les liens du sang et du serment.
    « Les deux garçons avaient une sœur, prénommée Antigone, qui était fiancée au fils de Créon. Indifférente à la volonté du souverain qui avait décrété la peine de mort pour quiconque désobéirait à ses ordres, Antigone ensevelit rituellement ses frères en jetant quelques poignées de poussière sur leurs corps. Surprise par les gardes, elle fut arrêtée et traînée devant les tribunaux. Antigone proclama son innocence, déclarant qu’une loi l’emportait sur celle des rois et des cités, la loi du cœur, le droit naturel qui impose la pitié pour les morts, quel que soit le crime dont ils se sont souillés, l’obligation morale d’accorder des funérailles aux membres de sa famille, la loi de l’âme et de la conscience, supérieure à toute loi humaine. »
    Le temps avait passé à mon insu pendant que Xéno me relatait l’histoire d’Antigone, et quand je tournai les yeux vers la fenêtre, je vis la neige, le ciel blanc, la terre immaculée où toute trace du passage de l’homme était effacée. La vision magique de ces papillons de glace, qui se poursuivaient comme dans une danse d’amour avant de se poser au sol et de disparaître dans la couche d’écume légère, ne me détourna pas de la pensée que la nature est cruelle : ce que je trouvais merveilleux, dans la tiédeur du feu, était funeste pour d’autres.
    « Comment ton histoire se termine-t-elle ? demandai-je en m’arrachant à ce spectacle.
    — Mal. Par une succession de morts. Voilà pourquoi je te dis de renoncer à tes projets. Dors. J’irai moi-même inspecter les corps de garde. »
    Mais j’avais déjà pris ma décision, et l’histoire de Xéno n’avait fait que me conforter dans cette idée – pourquoi me l’avait-il racontée ? J’apporterais des peaux de mouton et de chèvre aux jeunes imbéciles qui gisaient dans le froid et sous la neige, avec leurs capes pour seule protection. Cependant, alors que je m’apprêtais à sortir, une sonnerie de trompette déchira le silence. J’abandonnai mes peaux et ouvris la porte. Des feux brillaient sur les montagnes environnantes, de grands bûchers qui produisaient des halos rouges et tremblants.
    Les guerriers quittèrent leur logements, armés et vêtus de leurs capes. Sophos et ses généraux leur crièrent : « Il est trop dangereux de camper séparément. L’ennemi pourrait nous surprendre à la faveur de la nuit et nous massacrer dans notre sommeil. Nous nous regrouperons au centre du village principal, armés et prêts à nous battre ! Tous ceux qui seront surpris à l’intérieur d’un abri seront chassés du campement. »
    Il en fut ainsi. Les hommes répandirent de la paille sur le sol et s’allongèrent les uns contre les autres. Seules les filles restèrent dans les habitations. J’y demeurai moi aussi, tout comme Lystra, que j’avais installée dans une

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