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L'armée perdue

L'armée perdue

Titel: L'armée perdue Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Valerio Manfredi
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j’avais sans doute l’air si amère qu’il n’osa pas me contredire. Le convoi s’ébranla, et je lui emboîtai le pas. Voyant que personne ne lui prêtait attention, Mélissa se redressa.
    « Attends-moi, gémissait-elle, attends-moi ! »
    Je m’en gardai bien et je ne me retournai même pas en l’entendant se plaindre : « J’ai froid, j’ai les jambes gelées, je vais m’évanouir, je ne tiens pas debout… Au secours, à l’aide ! »
    Elle finit par se résigner. À la halte, je m’occupai d’elle, pressai sur sa paupière tuméfiée une poche de tissu remplie de neige.
    « Je suis horrible, plus personne ne voudra de moi.
    — Balivernes. Tu es magnifique. Avec la neige, ton œil désenflera vite. Un chirurgien me l’a appris. De plus, tu apprendras à te débrouiller seule, et cela te sera utile. Nous ne sommes pas sorties de ce pétrin.
    — Tu m’as fait mal.
    — Toi aussi. Nous sommes quittes. »
    Elle essuya ses yeux du revers de la main. Attendrie, je lui dis : « Regarde cette pauvre fille. Elle pourrait accoucher d’un instant à l’autre. Imagine-toi dans sa situation. Essaie de résister jusqu’à ce soir. Tu te reposeras ensuite. »
    Nous poursuivîmes notre marche. Tandis que le ciel s’assombrissait, le vent se leva, nous glaçant jusqu’aux os et gerçant nos lèvres. Nous avançâmes ainsi pendant plusieurs jours. De temps en temps, Lystra demandait à descendre pour laisser sa placer à Mélissa, mais celle-ci, gênée, refusait la plupart du temps. Elle devenait une femme forte et digne de respect. Les autres filles aussi : elles ne se plaignaient pas, n’appelaient pas au secours, et quand l’une d’elles tombait ou avait un malaise, les autres lui prêtaient main-forte. Le soir, armées de fil et d’aiguilles, elles fabriquaient des bottes pour affronter la neige, reprisaient leurs vêtements et ceux de leurs compagnons. Le froid était de plus en plus pénible, les possibilités de se ravitailler se raréfiaient, les querelles se multipliaient, surtout entre les hommes.
    Désormais on se battait contre un ennemi implacable, un ennemi sans visage, mais doté d’une voix, la voix sifflante du vent et de la bourrasque : l’hiver.
    Nous franchîmes le premier des trois sommets que j’avais vus scintiller comme des diamants depuis la colline, au-delà du gué. Jamais je n’avais admiré montagne si imposante. De larges strates de roche noire, pareilles à des rivières pétrifiées, striaient ses flancs.
    Elles jaillissaient de la neige, tels les dos de monstres endormis, et atteignaient le sentier que nous parcourions. Des pierres noires, ciselées et brillantes, de la grosseur du poing, y étaient enchâssées.
    « C’est un volcan endormi, me dit Xéno. Lorsqu’il se réveille, il vomit des fleuves de roche incandescente qui coulent le long de ses flancs puis se figent, devenant ce que tu vois maintenant.
    — Comment le sais-tu ?
    — Un de mes amis qui est allé en Sicile et a assisté à la colère épouvantable de l’Etna me l’a dit.
    — Qu’est-ce que c’est, la Sicile ?
    — Une île située à l’ouest, dotée d’un volcan gigantesque qui vomit de la fumée, des flammes et de la roche fondue. Je m’y rendrai un jour, je compte la voir de mes propres yeux.
    — Tu m’y emmèneras ?
    — Oui. Je t’y emmènerai. Nous ne nous quitterons plus. »
    Mes yeux s’embuèrent aussitôt, et le vent gela les larmes qui coulaient sur mes joues. Xéno était un jeune homme merveilleux et j’avais eu raison de lui faire confiance, de le suivre dans cette aventure. Je n’avais pas de regrets à avoir, pas même si j’avais dû mourir dans cette étendue glacée.
    À chaque étape, les difficultés augmentaient. Il n’était plus question d’inconfort, mais de vie ou de mort. Ceux qui trouvaient un logement ou un feu vivaient, ceux qui n’en trouvaient pas mouraient. Il se remit bientôt à neiger. Cela n’avait plus rien de beau ni d’agréable : oubliés, les gros flocons que j’avais vus danser à la chaleur du foyer, dans le ciel sombre ! C’étaient désormais des aiguilles de glace que le vent nous jetait au visage avec fureur. Rien ne pouvait arrêter la tourmente. L’air gelé pénétrait toutes les défenses, transperçait les membres tel un poignard, raidissait les mouvements, aveuglait, s’engouffrait dans les tuniques et les capes dans lesquelles nous tentions vainement de nous cacher.
    Le sifflement du

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