L'armée perdue
temps la fille parviendrait-elle à distraire Néon ? Je craignis que mon amie n’eût été retenue ou que Cléanor ne l’eût priée de servir ses invités en dépit du caractère secret de la réunion. Je ne pouvais plus repousser le moment de passer à l’action.
Je m’approchai de l’entrée. Une faible clarté brillait sous la tente. Je cherchai encore Mélissa du regard et, ne la voyant pas, y pénétrai. Étrangement, l’angoisse qui m’oppressait s’évanouit sur-le-champ.
Il n’y avait pas grand-chose à l’intérieur : une natte en osier sur le sol, un cintre portant l’armure de Sophos, une petite table au centre et deux tabourets, enfin un coffre dont le cadenas n’était pas fermé. Je l’ouvris.
Il contenait une couverture, une cape de rechange en bon état et deux tuniques de laine grise. Au fond, des objets de valeur : une coupe en argent et…
« Que fais-tu ici ? Qu’est-ce que tu fabriques ? » s’écria une voix dans mon dos. Je sursautai, comme transpercée : pour la première fois de mon existence, j’avais le sentiment d’avoir commis une action illicite dont je devrais payer les conséquences. Je pivotai en cherchant dans le tumulte de mon esprit une justification à opposer à l’homme qui avait parlé. En vain.
Néon, l’aide de camp du général en chef, se dressait devant moi. Au loin, Sophos accourait, suivi de Cléanor et de Xéno, ainsi que d’une silhouette vague, sans doute Mélissa, qui m’avait certainement trahie.
Bien vite se présentèrent deux soldats : ils tenaient dans leurs bras la prostituée qui avait tenté de séduire Néon. Elle avait été battue jusqu’au sang, était à moitié nue et tremblante de froid. La neige tombait dehors, d’innombrables flocons se balançant tranquillement dans l’air inerte, et je me concentrai sur cette vision pour m’arracher au reste.
Deux autres guerriers arrivèrent, pourvus de torches. La vague silhouette qui se muait en arrière-plan prit l’aspect de Mélissa. Je sentis mon cœur se briser.
Mais le cœur d’une femme possède des ressources. Avant de m’abandonner à mon sort, je revis une image et des signes qui m’avaient sauté aux yeux à l’instant où la voix rude de l’aide de camp avait retenti à mes oreilles : une feuille de parchemin au fond du coffre, frappée d’un dessin et d’un mot.
Le dessin se composait dans la partie supérieure d’une série de triangles de diverses hauteurs qui représentaient peut-être des montagnes. Au milieu, une ligne tortueuse indiquant peut-être un fleuve, ainsi que quatre caractères si nets qu’ils s’étaient gravés dans mon esprit telles des entailles sur une tablette de bois.
ARAX
La ligne tortueuse était flanquée d’une autre ligne, qu’interrompaient de petits traits verticaux marqués de deux ou trois signes.
« Que cherchais-tu dans ce coffre, jeune fille ? » interrogea d’une voix glaciale le général en chef. Au même moment, Mélissa jaillit au milieu des hommes en criant : « Je ne voulais pas, je ne voulais pas, ils m’ont obligée ! »
Son beau visage portait lui aussi des traces de coups. Elle tomba à genoux, en larmes. Un soldat la traîna vers la sortie dans l’indifférence de Cléanor.
« Que cherchais-tu ? » répéta Sophos.
Ne sachant que répondre, je gardai le silence.
« Tu devrais le savoir », dit-il en se tournant vers Xéno, qui me contemplait, pétrifié. Sans lui prêter attention, celui-ci me demanda alors : « Pourquoi as-tu fait ça ? Que voulais-tu prendre ? Pourquoi ne m’as-tu rien dit ? »
Néon me flanqua une gifle qui m’ouvrit la lèvre. « On t’a posé une question ! » rugit-il.
Alors Xéno lui saisit le poignet et le lui tordit. D’un coup d’œil, Sophos ordonna à son aide de camp de s’écarter.
Je me couvris la tête et éclatai en sanglots. Xéno me releva, baissa mon châle et répéta d’un ton ferme : « Dis-moi ce que tu cherchais. Tu n’as pas le choix. »
Je fixai sur lui mes yeux remplis de larmes et les tournai ensuite vers Sophos, Néon et son masque de pierre, la petite prostituée blême, au bord de l’évanouissement, Mélissa en larmes un peu plus loin, les deux guerriers armés, l’armure de Sophos qui rougeoyait à la lumière des torches, comme ensanglantée. Et la neige… La neige qui amalgamait tout. Je rassemblai mon courage.
« Je cherchais une réponse.
— Une réponse ? répéta Sophos, dont le
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