L'armée perdue
poursuivons notre route vers l’est ? Tu vois ces montagnes à l’horizon ? D’ici, elles ne semblent pas très élevées, à cause de la distance. Mais quand nous nous serons approchés, elles se dresseront de toute leur hauteur. Comment affronterons-nous des épreuves de plus en plus dures ? Comment les guerriers trouveront-ils la force de se battre indéfiniment ? Ils ont déjà fait l’impossible, affronté et surmonté plus que ne peut en supporter aucun être humain. Sophos nous conduit à l’anéantissement. Je n’ai plus le moindre doute à ce sujet. Xéno en est persuadé lui aussi, même s’il ne le montre pas.
« Aide-moi, et je ferai en sorte que Xéno accepte de rencontrer Cléanor et Sophos afin de discuter avec eux de notre itinéraire. Tu diras à Cléanor que Xéno tient à le voir avec le général en chef. Ce ne sera pas difficile. Nous agirons à ce moment-là. Je me suis rendu compte que Néon, l’aide du camp de Sophos, est sensible au charme féminin. Nous chargerons une de nos filles de le distraire. »
Mélissa se leva et m’étreignit. « Je ne suis pas comme toi, Abira. J’ai peur, je crains de me trahir.
— Non, je suis certaine que tu te débrouilleras très bien. Tu as été formidable, tu as surmonté des épreuves auxquelles tu n’aurais jamais imaginé survivre. Agissons sans tarder !
— Et si nous ne trouvons rien ?
— Alors je persuaderai Xéno de convoquer l’assemblée, mais j’ai besoin de toi. Tu sais lire, Mélissa, et je n’ai pas le temps d’apprendre.
— D’accord, répondit mon amie, résignée. Quand ?
— Le plus tôt sera le mieux. Nous n’avons plus de temps à perdre.
— Très bien. Je t’avertirai. »
Deux jours plus tard, Mélissa avait déjà tout organisé pour la rencontre. Je lui procurai du gibier afin que le dîner pût se prolonger en notre absence.
À la première occasion, je communiquai à Xéno que Cléanor acceptait de tenir une réunion sous sa tente en la présence du général Sophos.
Je tremblais à la pensée de ma fragilité, de ma faiblesse, des conséquences que mes actes risquaient d’engendrer. L’angoisse me tenaillait, mon cœur battait, et je ne parvenais plus à trouver le sommeil. Au fil des heures, à l’approche du moment fatal, ma peur se changeait en panique, en un tremblement intérieur que j’étais incapable de maîtriser, et je fus tentée plus d’une fois de renoncer, de laisser les événements suivre leur cours.
Deux journées s’écoulèrent de la sorte.
Le soir venu, j’attendis l’arrivée de Mélissa. Nous avions rendez-vous à la tombée de la nuit.
Xéno jeta sa cape sur ses épaules et sortit en déclarant qu’il allait chez Cléanor, qui avait eu la bonne idée d’organiser une réunion en petit comité. Si l’on prenait des décisions importantes, on convoquerait le conseil au complet.
Après son départ, je patientai un moment et sortis à mon tour. Il neigeait, mais on apercevait la lune entre les bancs de nuages. Je me dirigeai vers la tente de Sophos en me dissimulant derrière les mulets, attachés à des poteaux.
Le général en chef fit bientôt son apparition. Privé d’armure mais gardant son épée, il gagna le logement de Cléanor. Ayant avisé Xéno, il le salua et l’étreignit, comme je le vis à la lueur de la lune.
Je demeurai près des mulets jusqu’à ce qu’apparût la fille que nous avions chargée de distraire Néon. C’était une des jeunes prostituées qui accompagnaient l’armée. Mélissa l’avait sans doute préparée : elle portait une robe élégante, légère et moulante. Elle mourait probablement de froid, mais elle accomplissait sa tâche avec habileté.
Elle ralentit à la hauteur de Néon, qui l’apostropha. Elle lui répondit sans s’arrêter. Alors il lui emboîta le pas et tenta de lui saisir la main. La fille le laissa l’étreindre, puis se dégagea.
Il s’immobilisa.
Voilà, mon plan avait déjà échoué ! Néon était trop froid, trop réservé. Et maintenant, qu’allait-il arriver ?
La fille continua son chemin tout en se retournant. Alors Néon jeta un regard circulaire, comme pour s’assurer qu’il n’y avait personne dans les environs, et la suivit. Aussitôt après, j’entendis des voix et des petits rires s’échapper d’une tente.
Mon tour était venu d’agir, mais il me fallait attendre Mélissa. Je me tournai vers la tente de Cléanor, en proie à l’impatience : combien de
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