L'armée perdue
faire ? »
Cléanor, Timasion, Agasias et Néon accouraient.
« Nous mourrons en guerriers, déclara Sophos d’une voix grave.
— Mourir ? lança Xéno. J’ai un autre plan. »
26
Il neigea toute la nuit. Les torches s’éteignirent sur les sommets et les feux au fond de la vallée. Le monde fut englouti dans l’obscurité et le silence. À l’aube, les chefs de l’armée qui étaient postés sur les bords du grand cratère firent sonner leurs cors et commencèrent à descendre. Mais bien vite, leur commandant, un géant à la tignasse blonde, les arrêta, gêné par le manque de lumière.
Le grand bassin était vide, l’armée des envahisseurs avait disparu. Il n’en restait que quelques chariots recouverts de toiles de tente et disposés en cercle.
S’étaient-ils donc évanouis dans le néant ? Et par quel tour de magie ? L’entrée et la sortie du cratère étaient solidement tenues. Ce n’était pas possible.
Saisi d’une terreur superstitieuse, le blond dépêcha en avant une colonne de ses meilleurs soldats, soit plus de cinq mille hommes armés de pied en cap, coiffés de casques coniques et pourvus de grands boucliers de cuir, sur un front d’une centaine d’individus.
Ils avancèrent d’un pas lent en serrant dans leurs poings leurs longues épées à double tranchant, et pénétrèrent sur le terre-plein. Moins de deux cents pas les séparaient à présent des chariots. La vallée entière était plongée dans le silence car la neige étouffait le moindre bruit. Quand ils en eurent atteint le centre, une sonnerie de trompette s’échappa des véhicules et, comme par un prodige, une armée de fantômes jaillit du manteau neigeux des deux côtés de la colonne. Ces spectres se rapprochèrent les uns des autres au point de former un alignement en brandissant les boucliers qui les avaient protégés pendant la nuit, et chargèrent, lances baissées, à la seconde sonnerie de trompette. Encerclés, incapables d’esquisser la moindre défense, les indigènes furent broyés entre deux forêts de pointes d’acier, écrasés entre deux murs de bronze.
L’armée qui se tenait sur la crête des montagnes observa sans la moindre réaction les mouvements de ces êtres surhumains surgis des entrailles de la terre. Elle ne pouvait imaginer ce qui s’était passé pendant la nuit.
Xéno s’était souvenu que les soldats condamnés à dormir hors du cercle des sentinelles, après avoir incendié des maisons, avaient survécu en s’abritant sous leurs boucliers couverts de leurs capes et de neige.
Un cri d’enthousiasme s’éleva du cratère, le cri de victoire des Dix Mille, un cri si fort que son écho résonna dans toute la vallée. Cachée avec les prostituées dans le chariot, je poussai comme elles des hurlements d’encouragement.
Xéno rejoignit Sophos. « Tu as vu ? Nous les avons taillés en pièces. Nous pouvons rompre l’encerclement et partir. Nos ennemis ont déjà subi un rude coup. »
Mais Sophos semblait impénétrable. Il scrutait le bord du cratère. « Regarde. Il en arrive d’autres. Le vide a déjà été comblé. Ils nous assiègent. Il suffirait qu’ils restent immobiles, là-haut, pour que nous mourrions de faim et de froid.
— Ce n’est pas possible ! Comment peux-tu laisser ces hommes valeureux sans espoir ? Ils ne demandent qu’une raison pour se battre jusqu’à leur dernier souffle. Sans espoir, on ne peut vivre et on ne peut pas mourir, non plus !
— Je serai à leurs côtés. Je descendrai le premier dans l’Hadès. »
Xéno jeta un regard circulaire : Timasion, Cléanor, Xanthi, Agasias et Néon, Lykios de Syracuse, Aristéas, Nicarque d’Arcadie, Euryloque de Lousi, couverts de sang et de glace, contemplaient d’un air consterné leur général en chef, incapable de leur adresser le moindre mot.
La voix d’Aristonyme, l’un des soldats les plus téméraires, les arracha à leur torpeur : « Inutile de discuter. Ils viennent vers nous. »
Tout le monde tourna les yeux vers le sommet du cratère : les guerriers d’innombrables tribus et nations, des guerriers que nous avions vaincus peut-être, ou que le Grand Roi avait lancés à nos trousses, des hommes dont nous avions pillé les villages, ou que nous n’avions encore jamais rencontrés et qui refusaient de nous laisser entrer sur leurs terres, ou encore les soldats que le général Sophos avait convoqués afin qu’ils nous anéantissent, se rapprochaient,
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