L'armée perdue
les grand-places et enseignent ce qu’ils ont étudié ou expérimenté : le sens de la vie et de la mort, de la justice et de l’injustice, de ce qui est beau et de ce qui est laid ; ils parlent de l’existence des dieux et du lieu où ils règnent, se demandent s’il est possible de vivre sans eux, si les morts sont vraiment morts ou s’ils vivent quelque part, invisibles.
On y trouve aussi des hommes appelés « artistes », qui peignent sur les murs ou sur des planches de bois des scènes merveilleuses aux couleurs splendides, et qui modèlent des matières reproduisant la forme et l’aspect de dieux, ou d’êtres humains, ou encore d’animaux : lions, chevaux, chiens, éléphants. Ces images sont exposées sur les places publiques, dans les temples ou dans les maisons privées, qu’elles embellissent et rendent agréables.
Et puis, il y a des temples : les demeures des dieux. Ce sont des constructions grandioses faites de colonnes en marbre peintes, dorées, splendides, qui soutiennent des poutres sculptées mettant en scène leurs mythes et leur histoire. Sur les façades aussi, des images merveilleuses relatent la naissance de leur cité, ou d’autres événements extraordinaires. Le temple abrite l’image de la divinité qui protège la ville : dix fois plus grande qu’un être humain, en ivoire ou en or, elle brille sous les rayons du soleil qui l’irradient.
Quand on songe à tout cela, on parvient à comprendre combien il est dur et triste, pour un homme, d’abandonner un pareil lieu et les gens qui l’habitent, qui parlent la même langue que lui, qui partagent les mêmes dieux et aiment les mêmes choses.
Le troisième jour, Xéno quitta le môle du port de mer. Avec lui, cinq cents hommes, guerriers armés de pied en cap, venus de toutes les directions par groupes de cinquante ou de cent. Ils montèrent à bord d’embarcations semblables à des barques de pêcheurs.
Ils levèrent l’ancre de nuit, sans attendre l’aube qui les surprit au large, alors que les contours de leur terre avaient disparu à l’horizon.
Ils ignoraient qui prendrait leur tête, qui les emmènerait dans la plus grande aventure de leur vie. Une aventure au cours de laquelle ils croiseraient des lieux, des villes et des peuples dont ils n’imaginaient même pas l’existence.
D’autres groupes de guerriers s’étaient secrètement réunis dans des cachettes, pour se concentrer ensuite au même endroit, de l’autre côté de la mer, où ils rencontreraient un jeune prince en proie à la plus grande ambition qu’on puisse éprouver : devenir l’homme le plus puissant de la terre.
Pendant ce temps, l’homme qui allait commander le corps d’expédition, obéir aux ordres du prince et réaliser ses ambitions avait été préparé, entraîné et instruit à Sparte. En réalité, il obéirait aux ordres de sa cité, la cité des guerriers à cape rouge. Mais personne, à aucun prix, ne devait l’apprendre. Aux yeux du commun des mortels, c’était un exilé, un soldat en déroute, sans demeure fixe, officiellement recherché pour meurtre, un condamné à mort dont la tête était mise à prix. Il était aussi dur et tranchant que l’arme qui pendait à son côté de jour comme de nuit. On l’appelait Cléarque, mais c’était peut-être un faux nom, comme toutes ces histoires inventées qu’on répandait sur les guerriers qui avaient vendu leur épée et leur vie pour un rêve.
4
La cinquantaine, Cléarque était de taille moyenne et avait des cheveux noirs veinés de gris sur les tempes, dont il prenait grand soin. Quand il ne portait pas de casque, il les retenait sur sa nuque à l’aide d’un lacet de cuir. Il était toujours armé, arborait jambières, cuirasse et épée de son lever jusqu’à son coucher, si bien que ces objets en bronze semblaient faire partie de son corps. Il parlait le moins possible et ne répétait jamais un ordre. Rares étaient les hommes, sous son commandement, qui le connaissaient.
Il avait surgi du néant.
Un matin, au début du printemps, il se présenta aux divisions alignées qui s’étaient concentrées dans la ville de Sardes, en Lydie, et bondit sur un mur de briques.
« Soldats ! commença-t-il. Vous êtes ici parce que le prince Cyrus a besoin d’une armée pour combattre les Barbares de l’intérieur. Il a voulu s’entourer des meilleurs : voilà pourquoi vous avez été recrutés en divers lieux de Grèce. Nous ne sommes pas aux ordres
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