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L'armée perdue

L'armée perdue

Titel: L'armée perdue Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Valerio Manfredi
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histoire ?
    — Ils ignorent tout. Le gouvernement ne sait pas ou, plus probablement, ne veut pas savoir. Ce qui ne fait que renforcer mes soupçons. Quoi qu’il en soit, il n’y a pas un seul officier de l’armée régulière Spartiate dans cette expédition. Il est évident qu’ils ne veulent pas qu’on les soupçonne. Voilà pourquoi il s’agit d’une affaire importante. Dans le cas contraire, cet excès de prudence ne s’expliquerait pas.
    — C’est possible. Mais il paraît absurde que tout cela se produise sans qu’ils puissent maîtriser quoi que ce soit.
    — Ils ont certainement trouvé le moyen de le faire. Alors, que décides-tu ?
    — D’accord. Je viens.
    — Excellente résolution, commenta Proxène. Je t’attends dans trois jours au môle. Après minuit. Emporte tout ce dont tu auras besoin. »
    Xéno ne fut pas invité à rester pour la nuit, ce qui signifiait que Proxène ne tenait pas à se montrer en compagnie d’un exilé, d’un fuyard recherché. Ce détail conforta Xéno dans sa décision de partir. Une décision amère, quoi qu’il en soit.
    Pour les Grecs, il ne semble pas y avoir d’existence possible en dehors de leurs villes, seul lieu où il vaille la peine de vivre. Si les Spartiates ont un roi, ou plutôt deux qui règnent ensemble, les autres Grecs n’en possèdent pas. Le peuple est représenté par des individus de toutes conditions : seigneurs, riches propriétaires, mais aussi des êtres plus humbles, qui exercent un métier pour vivre : médecins, armateurs, marchands, ou encore charpentiers, cordonniers. Xéno m’apprit qu’un de leurs plus grands guerriers, l’homme qui avait vaincu la flotte du Grand Roi Xerxès, était le fils d’un boutiquier qui vendait des légumes.
    Cette représentation garantit la liberté. Chacun est libre d’affirmer ce qu’il souhaite, de critiquer ou d’offenser ceux qui gouvernent la cité. Et si ceux-ci gouvernent mal, ils peuvent être chassés à tout instant, voire condamnés à verser des dédommagements aux citoyens qui ont subi des pertes à cause de leur incompétence. Chacun estime que sa ville est la meilleure, la plus belle, la plus désirable, la plus ancienne et la plus illustre, et, fort de cette conviction, se croit autorisé à posséder les meilleurs terrains, les côtes les plus belles et les plus ensoleillées, à étendre son territoire au-delà des montagnes et au-delà de la mer. C’est ainsi que les guerres succèdent aux guerres, opposant les uns aux autres. Une fois qu’une coalition l’emporte, elle se scinde intérieurement, et les alliés d’hier se transforment en ennemis, s’alliant à leur tour avec ceux qu’ils avaient défaits.
    Au début, j’ai eu de grandes difficultés à comprendre ce qui rendait ces villes plus désirables que nos villages de Naïm ou de Beth Qadà, mais Xéno me parla de lieux dénommés « théâtres », où les gens restent assis pendant des heures, voire des journées entières, pour regarder d’autres gens imiter des personnages qui ont disparu des siècles plus tôt, représentant leurs aventures et leurs vicissitudes avec un tel réalisme qu’elles paraissent vraies. Ces gens s’abandonnent à toutes sortes d’émotions : ils pleurent, rient, s’indignent, poussent des cris de colère ou d’enthousiasme. Et il leur semble ainsi vivre d’autres vies, des vies qu’ils ne connaîtraient jamais ailleurs qu’au théâtre. C’est assurément une chose merveilleuse. A-t-on jamais vu un habitant des villages de la Ceinture affronter des monstres, combattre ruses et sortilèges, s’éprendre de femmes si belles qu’elles lui font perdre la tête, avaler des mets et des boissons aux parfums inconnus et aux effets inimaginables ? Les habitants de ces villages mènent tous la même vie, ils ne connaissent pas d’autres individus, d’autres odeurs, d’autres mets que ceux auxquels ils sont habitués.
    Lorsqu’ils regardent ces actions se dérouler devant leurs yeux, ceux qui assistent à la représentation prennent inévitablement parti pour les bons contre les méchants, ils défendent les opprimés contre leurs oppresseurs et se révoltent avec ceux qui ont subi des injustices contre ceux qui les leur ont infligées. De cette façon, ils deviennent meilleurs et cessent de commettre les méfaits qu’ils ont vus dans le lieu qu’on appelle « théâtre ».
    Ce n’est pas tout. Dans ces cités vivent des sages qui arpentent les rues et

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