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L'armée perdue

L'armée perdue

Titel: L'armée perdue Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Valerio Manfredi
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de nos cités ou de nos gouvernements, mais d’un prince étranger qui nous a enrôlés. Nous nous battons pour de l’argent, rien de plus. Une excellente raison, à vrai dire. Je n’en connais pas de meilleure.
    « N’imaginez pas pour autant que vous pourrez agir à votre guise. Tous ceux qui enfreindront un ordre, se rendront coupables d’insubordination ou de lâcheté, seront aussitôt condamnés à mort et exécutés par mes soins. Vous me craindrez bientôt plus que l’ennemi, je vous le jure. Je considérerai vos chefs comme les premiers responsables des erreurs commises dans l’exécution de mes ordres.
    « Personne ne peut rivaliser avec vous en matière de couvage, de résistance et de discipline. Si vous l’emportez, vous serez récompensés avec une telle générosité que vous pourrez abandonner ce métier et vivre confortablement jusqu’à la fin de vos jours. Si vous êtes battus, il ne restera rien de vous. D’ailleurs, personne ne vous regrettera. »
    Les hommes l’écoutaient sans broncher, ils ne s’éparpillèrent pas quand il eut terminé. Ils restèrent immobiles et silencieux jusqu’à ce que leurs chefs leur ordonnent de rompre les rangs.
    Cléarque n’avait apparemment aucun titre pour commander l’armée, cependant tout le monde lui obéissait. Son visage creusé, souligné par une courte barbe noire, ses yeux de jais, pénétrants, son armure étincelante et la cape noire qui lui couvrait les épaules composaient l’image même du général en chef.
    D’aspect excessivement dur, autoritaire, il semblait lui-même disproportionné par rapport au but affiché, conçu et taillé pour diriger des entreprises impossibles, certainement pas pour mener une action négligeable contre des tribus quelque peu turbulentes de l’intérieur.
    On ne savait pas s’il avait une famille ; à l’évidence, il n’avait pas d’amis. Il n’avait même pas d’esclaves : seules deux ordonnances, qui lui servaient les repas qu’il consommait en solitaire sous sa tente. Il paraissait incapable de tout sentiment ou, en tout cas, les dissimulait parfaitement, à l’exception de la colère.
    Cléarque était une machine plus qu’un être humain, une machine inventée et construite pour tuer. Au cours de cette aventure, Xéno l’approcha à plusieurs reprises et le vit en action : il frappait et abattait ses ennemis avec une énergie inlassable, sans faillir, sans montrer la moindre fatigue. La vie qu’il ôtait aux autres semblait nourrir la sienne. Il ne manifestait aucun plaisir dans l’acte de tuer : juste la satisfaction mesurée de ceux qui accomplissent leur devoir avec méthode et précision. Son aspect inspirait la terreur mais, au moment de l’affrontement, sa puissance impassible, sa force glaciale transmettaient aux soldats un sentiment de tranquillité et la certitude de la victoire. Il avait sous ses ordres les guerriers à cape rouge, les meilleurs. Personne ne pouvait les provoquer sans en payer les conséquences.
    J’ignore s’ils étaient spartiates – nul ne le sut jamais – mais ils lui ressemblaient en tout et pour tout, avaient la même armure et la même façon d’agir.
    Parmi les généraux, Xéno connaissait bien Proxène de Béotie. C’était un de ses amis, l’homme qui lui avait proposé de le suivre en Asie. Séduisant et ambitieux, il rêvait de conquérir de grandes richesses, l’honneur et la célébrité. Mais il démontrerait au fil du temps qu’il n’était pas taillé pour commander, et son amitié avec Xéno en pâtirait. Se promener sous les portiques d’une ville ou siroter une coupe de vin dans une taverne en parlant de politique, de chevaux ou de chiens, échanger des traits d’esprit est une chose. Affronter des marches exténuantes, souffrir de la faim ou de la peur, se battre pour sa survie en est une autre. Rares sont les amitiés qui résistent à de telles épreuves. Celle qui les liait s’affaiblit vite et se mua en indifférence et agacement, voire en antipathie.
    Xéno fit la connaissance des autres généraux : l’un d’eux, en particulier, le fascina au début et le dégoûta profondément par la suite. Je crois qu’il le haïssait et souhaitait sa mort. Il lui fut bientôt si insupportable qu’il lui attribua, à mon avis, des fautes dont il n’était pas coupable et des bassesses qu’il ne commit jamais.
    Cet homme s’appelait Ménon de Thessalie.
    Je le rencontrai à mon tour tandis que l’armée avançait,

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