L'armée perdue
Mais tu n’es pas… »
L’homme qui s’était présenté, un quinquagénaire chauve, vêtu à la perse, acquiesça. « Je suis… je suis le médecin du Grand Roi Artaxerxès.
— Ah ! Et comment se porte ton illustre patient ?
— Bien. Mais Cyrus a failli le tuer. Sa lance a transpercé la cuirasse du souverain sans toucher toutefois d’organe vital. Par chance, j’ai réussi à recoudre la plaie.
— Bon travail. J’aimerais disposer d’un médecin aussi habile que toi, mais je crains que tes gages ne soient trop élevés. Alors, quel bon vent vous amène ?
— En vérité, j’aimerais vous poser la même question », répliqua l’archiatre royal avec un sourire ironique.
Cléarque le dévisagea un moment. « À mon avis, tu le sais fort bien, Ctésias, mais j’aimerais savoir une chose : pourquoi le Grand Roi m’envoie-t-il son médecin ? Croit-il que je sois… enrhumé ? Es-tu censé me prescrire un emplâtre bouillant ? Ou une belle infusion de ciguë ?
— Nous sommes grecs, et cela lui a paru une excellente raison.
— Excellente, je l’admets. Permets-moi cependant de te rappeler deux ou trois choses. Nous avons été engagés par Cyrus. Cyrus est mort. Nous n’avons rien contre le Grand Roi…
— J’en suis persuadé, intervint Phalinos, mais cela ne change rien à la situation. Vous êtes trop nombreux et vous êtes armés. Présentez-vous à sa tente vêtus de vos seules tuniques, dans une attitude humble, et je verrai ce que je peux faire pour vous.
— Ai-je bien entendu ? s’exclama Cléarque. Dans une attitude humble ? » Il se tourna vers ses généraux. « Messieurs les officiers, elle est vraiment bonne ! Voulez-vous répondre vous-mêmes à nos invités ? Je dois m’absenter un instant. »
L’attitude de Cléarque me surprit. Pourquoi s’éloignait-il en cet instant crucial ? Les généraux se rembrunirent.
« Il faudra d’abord me tuer », répondit Cléanor d’Arcadie, un formidable guerrier à la voix aussi coupante qu’une épée.
Proxène de Béotie usa d’un ton plus conciliant, mais de mots tout aussi durs : « Vêtus de nos seules tuniques, c’est ça ? Et que nous arrivera-t-il ? Nous serons massacrés ? Empalés ? Dépecés vivants ? C’est la coutume par ici, n’est-ce pas ? Nous avons vu le traitement que le Roi a réservé à son petit frère ! »
Phalinos ne releva pas la provocation : c’était un excellent négociateur. Massif, paisible, attentif, il pesait ses mots et ne les gaspillait pas. « Premièrement, le Grand Roi sait qu’il est vainqueur, car il a battu et tué Cyrus, que vous serviez. Deuxièmement, vous vous trouvez sur son territoire, raison pour laquelle vous lui appartenez. Vous êtes encerclés, entourés de deux canaux et de deux grands fleuves infranchissables, l’un à droite et l’autre à gauche. Vous n’avez pas d’issue, et si vous décidiez de vous battre, il lancerait sur vous tant de soldats que vous n’arriveriez jamais à les tuer, pas même s’ils se laissaient faire. »
Xéno, qui s’était frayé un chemin parmi les officiers, intervint sans y être autorisé : « Phalinos, ta demande est irraisonnable. Vous n’ignorez pas que nous avons battu les Perses qui nous faisaient face et qu’ils se sont enfuis. Vous ne pouvez donc pas nous traiter en vaincus.
— Bravo, mon garçon ! Tu t’exprimes comme un philosophe. Mais si tu crois pouvoir défier le plus grand empire de la Terre avec de bonnes résolutions, tu te trompes lourdement.
— Un instant ! s’exclama un autre officier. Pourquoi n’essayons-nous pas de trouver un accord ? Vous êtes venus négocier, n’est-ce pas ? Nous sommes d’excellents guerriers, nous avons perdu notre chef, ce qui nous rend disponibles. Vous avez des problèmes en Égypte. Nous pourrions peut-être nous en charger. Je suis certain que nous en viendrions à bout.
— Soumettre l’Égypte ? répliqua Phalinos en secouant la tête. Par les dieux, mais vous vous prenez pour… » C’est alors que Cléarque réapparut. Phalinos se tourna aussitôt vers lui. « Il règne ici une grande confusion, chacun donne son avis. Je dois parler à une seule personne, un homme capable de me répondre au nom de tous. Alors, Cléarque, vas-tu me dire ce que vous avez décidé, oui ou non ?
— Je n’ignore pas que nous sommes dans une situation de faiblesse. Mais tu es grec, bon sang, et personne ne nous épie, à
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