L'armée perdue
l’exception du médecin, qui est également grec, n’est-ce pas ? Cesse donc de jouer le messager et donne-nous un conseil de Grec à Grec ! Si nous réussissons à nous arracher à ce merdier, nous ne l’oublierons pas. Tu auras de l’autre côté de la mer dix mille amis sur qui compter au cas où le vent changerait. On ne peut être sûr de rien en ce bas monde, tu le sais. »
Entre-temps, Xéno m’avait rejointe. Personne ne me prêtait attention, car j’avais rassemblé mes cheveux sous un couvre-chef et enfilé une cape d’homme.
« Que fait Cléarque ? demandai-je.
— À mon avis, il essaie de gagner du temps. Il attend un signal de Sophos ou de Ménon concernant la situation au campement des Asiatiques et la réponse d’Ariée.
— Silence ! nous lancèrent nos voisins. Nous voulons écouter les propositions de ce type. »
Phalinos répondit : « S’il existait une issue, je te le dirais, je te le jure, mais tu peux toi-même constater que vous êtes coincés. Il vous est impossible de rebrousser chemin et tout aussi impossible d’avancer. À moins que…
— Quoi ?
— Y a-t-il des Spartiates parmi vous ?
— Pas un. Mais les hommes que tu vois leur ressemblent beaucoup lorsqu’il s’agit de se battre. »
Phalinos garda le silence un moment, semblant suivre le fil invisible d’un raisonnement, puis il s’exclama : « Rendez-vous ! J’interviendrai en votre faveur. Toi aussi, Ctésias, n’est-ce pas ? Le roi écoutera son médecin, l’homme qui lui a sauvé la vie. »
Ctésias acquiesça avec bienveillance.
« Tu vois ? poursuivit Phalinos. Il interviendra lui aussi, vous n’avez rien à craindre. Alors, que réponds-tu ? »
Cléarque se rapprocha, et le Grec fit un pas en arrière comme s’il entendait maintenir une distance de sécurité. « Je te remercie de ton conseil, mon ami, j’apprécie vraiment mais, vois-tu, j’ai réfléchi. Nous présenter en tunique et à genoux comme des mendiants ne me paraît pas une bonne idée. Non, c’est hors de question. »
Phalinos réprima à grand-peine un geste de déception et réfléchit quelques instants. Le soleil brillait, et le bourdonnement des mouches qu’attiraient les milliers de cadavres jonchant le sol, non loin de là, était presque insupportable. Des corbeaux et de grands vautours tournoyaient dans le ciel, prêts à banqueter. Phalinos posa les yeux sur les rapaces puis sur Cléarque, alors que Ctésias, le médecin, gardait une attitude d’observateur attentif mais détaché. Il finit par dire : « S’il en est ainsi, je dois te rappeler ce qui vous attend. Tant que vous resterez ici, vous bénéficierez d’une trêve. Si vous avancez ou reculez, ce sera la guerre. Que dois-je rapporter ?
— Tu l’as dit toi-même. Si nous restons ici, il y aura trêve, et guerre si nous avançons ou reculons. »
Furieux, Phalinos se mordit la lèvre inférieure puis s’éloigna sans piper.
« Il n’imaginait pas cette issue, commenta Socrate.
— Non, je crois bien que non, dit Cléarque. Et il ne passera pas un bon moment quand il sera devant le Grand Roi, au rapport. De toute façon, nous ne pouvons pas rester ici, nous n’avons rien à manger. Et si nous perdons nos forces, nous sommes morts. »
C’est alors que se présentèrent Agasias et Sophos. « Ariée a été blessé, mais il s’en tirera. Ménon et Glous sont restés au campement.
— Que pense le Barbare de ma proposition ?
— Il dit qu’aucun Perse de haut rang n’accepterait de le reconnaître comme roi, même si nous nous emparions du trône, et que, si nous voulons nous unir à lui, il nous aidera à rebrousser chemin. Il nous demande de le rejoindre au plus vite. S’il ne nous voit pas demain matin, il partira de son côté.
— J’ai compris. N’avez-vous rien remarqué d’étrange en venant ?
— Non, répondit Glous. Tout est calme. Les Perses sont à bonne distance.
— Pour le moment, intervint Cléanor.
— Pour le moment », admit Cléarque.
Il se tourna vers le trompette et lui ordonna de sonner le rassemblement pour les officiers supérieurs. Les généraux et les chefs de bataillon accoururent quelques instants plus tard, et Cléarque tint un conseil de guerre.
Xéno venait vers moi quand il croisa Sophos qui s’éloignait dans la direction opposée à celle de l’état-major.
« Viens, dit ce dernier.
— Mais je ne suis qu’un écrivain…
— Maintenant tu en fais
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