L'armée perdue
« Quelle horreur…, dit-elle d’une voix tremblante.
— Tu étais sa compagne ?
— L’une des nombreuses femmes de son harem. Mais il m’envoyait souvent chercher. Il me traitait avec respect, avec affection, peut-être même avec amour. Il m’offrait de magnifiques cadeaux, il aimait m’écouter. Il voulait que je lui raconte des fables, des histoires… On aurait dit tantôt un enfant tantôt un être aussi dur et impénétrable que l’acier.
— Que t’est-il arrivé, hier ?
— Je me trouvais dans la tente du prince quand les soldats d’Artaxerxès y ont fait irruption. Ils étaient déchaînés, ils tuaient, brûlaient, pillaient. Ils se sont jetés sur les autres filles, m’ont saisie par la robe, mais j’ai défait agrafes et ceinture et me suis enfuie toute nue.
— Tu as alors atteint notre garnison.
— Oui, en courant plus vite que je n’avais jamais couru. Les nôtres ont contre-attaqué à la tombée du soir et ont refoulé les Perses. On a retrouvé les corps de deux de mes camarades, violées pendant des heures jusqu’à ce que mort s’ensuive. »
Indisposée par ce récit atroce, je me levai et jetai un coup d’œil à l’extérieur. Tout semblait calme. Nous étions maintenant en sécurité. Au fond du campement, on distinguait la grande tente éclairée où se tenait la réunion de l’état-major. Xéno se trouvait là, lui aussi, et je me demandais pourquoi Sophos l’avait introduit dans le cercle des officiers supérieurs, alors qu’il n’était même pas un soldat. Et pourquoi il avait accepté. Sophos lui avait-il promis quelque chose ? De quoi pouvait-il s’agir ? Et que Xéno lui apportait-il en échange ? Je n’avais pas le droit de poser ces questions, mais je tenais à obtenir des réponses et j’étais prête à utiliser tous les moyens nécessaires pour parvenir à mes fins.
Je me tournai vers la splendide concubine de Cyrus. La lampe jetait des reflets dorés sur sa peau d’ivoire et donnait à son regard d’une transparence cristalline une intensité presque insoutenable. « Dans cette partie du campement aussi, tu constitues une proie désirable, et tu es, qui plus est, privée de maître. Comment pouvais-tu te baigner sans craindre d’être agressée ? Les hommes qui s’étaient rassemblés devant ta tente s’apprêtaient à…
— Et tu crois que tes cris les ont éloignés ? Jamais je ne me serais baignée si je ne m’étais pas sentie en sécurité !
— Alors, pourquoi…
— Tu n’as rien remarqué dehors ?
— Non. Il fait noir. »
La fille s’empara de sa lampe et se dirigea vers la sortie. « Viens voir. »
Je la suivis. La lumière éclaira à droite de l’entrée deux têtes plantées sur des fers de lance. On voyait dans leurs bouches des testicules. Horrifiée, je reculai.
« Voilà ce qui les éloigne.
— Par les dieux, comment as-tu…
— Tu ne crois tout de même pas que j’ai décapité et castré ces deux énergumènes ?
— Qui l’a fait dans ce cas ?
— Je venais de me réfugier par ici quand un des nôtres m’a approchée et a jeté sa cape sur moi. C’est alors que des Asiatiques d’Ariée sont venus me réclamer. D’autres les ont repoussés. On m’a conduite dans cette tente où j’ai pu enfin reprendre haleine, mais pas longtemps. Je venais de me coucher quand deux Asiatiques se sont introduits ici sans un bruit. L’un d’eux a plaqué sur ma bouche une main aussi grosse et poilue que la patte d’un ours et m’a fait sortir par l’arrière. Je pensais que je me retrouverais dans le harem d’un de ces individus hirsutes et nauséabonds, ou que je serais donnée en pâture à la soldatesque, quand j’ai remarqué une ombre qui avançait vers nous. J’ai tenté le tout pour le tout, j’ai mordu la main de mon ravisseur et crié au secours. L’ombre s’est alors immobilisée, et j’ai vu à la lumière du bivouac un guerrier plus beau et plus puissant qu’Arès en personne, dégainer son épée et se diriger vers nous d’un pas tranquille. Je ne pourrais décrire ce qui s’est passé. Mes ravisseurs sont tombés l’un après l’autre, comme des pantins en sciure. Mon sauveur s’est penché sur eux, les a décapités de deux coups d’épée et a planté leurs têtes sur des fers de lance devant ma tente. Puis il a coupé leurs testicules et les a fourrés dans leur bouche. Personne ne m’a plus ennuyée.
— Je veux bien le croire. A-t-il réapparu
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