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L'armée perdue

L'armée perdue

Titel: L'armée perdue Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Valerio Manfredi
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qu’on peut oublier en quelques heures une existence sereine, égayée par des enfants, par un être aimé qui vous respecte, par une belle maison dotée d’une tonnelle et d’un jardin, telle que j’en rêvais, et regretter d’être né.
    La voix de Ménon retentit une nouvelle fois, comme dans une fable cruelle : « … et ce n’est pas terminé. Chaque soir, quand la nuit et l’obscurité te libèrent de ces hôtes aussi désagréables, on te fait dîner… oui, peux-tu le croire ? On t’offre à boire et à manger. En abondance. On te nourrit de force. Et si tu refuses d’ouvrir la bouche, on te perce les yeux avec des poinçons afin que tu cries et desserres les dents, on te fourre d’autres aliments et d’autres boissons dans la bouche. Ainsi, au bout de deux ou trois jours, tu es couvert de tes excréments à l’intérieur de ce cercueil brûlant. Les vers te dévorent peu à peu. Tu perçois la puanteur de ta chair qui meurt à chaque instant, et tu maudis ton cœur qui continue de battre, tu maudis ta mère qui t’a mis au monde et tous les dieux du ciel qui l’ont autorisée à vivre jusqu’à cet instant-là. »
    Je pleurais et pensais que ce Mithridatès avait été lui aussi mis au monde par une mère, qui l’avait allaité, soigné, entouré d’attentions et de caresses afin qu’il eût tout le bonheur qu’un enfant puisse avoir, sans même imaginer qu’il aurait mieux valu le noyer dans un seau à sa naissance, avant qu’il poussât son premier vagissement.
    L’homme agonisa pendant dix-sept jours.
    Ce n’était pas terminé. Durgat raconta qu’il restait encore un individu à châtier : l’eunuque qui s’était chargé de décapiter, mutiler et empaler le corps inanimé de Cyrus. Il se nommait Masabaté et était extrêmement rusé. Il avait vu mourir les deux autres et il savait qu’il constituait une proie de choix pour Parysatis, la tigresse. Il se gardait de se vanter de ces faits et évitait les discussions où l’on évoquait la mort de Cyrus, des événements ou des personnages ayant un rapport avec des hommes qui connaissaient le prince, l’avaient connu ou se rappelaient avoir eu affaire à lui. Il s’éclipsait dès qu’on abordait un de ces sujets, prétextant une des nombreuses tâches qui incombaient au serviteur émasculé et fidèle qu’il était. Il semblait impossible de le prendre au piège, cependant la chasseuse d’homme était maligne. Parysatis agit comme si Cyrus n’avait jamais existé. Elle entoura son fils rescapé de toutes les attentions possibles, allant jusqu’à lui confectionner des gâteaux de ses propres mains – c’était tout du moins ce qu’elle prétendait. Elle paraissait sincère. On aurait dit une mère résignée et décidée à reporter toute son affection sur l’enfant qui lui restait. Le roi fut particulièrement touché par l’affection qu’elle manifesta soudain à son épouse bien-aimée, la reine Statira, qu’elle avait toujours détestée.
    Enfin, elle décida de tenir compagnie au roi dans son passe-temps favori : le jeu de dés.
    « Jamais on n’avait entendu dire qu’on truquât des dés pour perdre, raconta Durgat. C’est pourtant ce que fit la reine mère afin de parvenir à ses fins. Elle joua mille dariques d’or et les perdit. Elle paya cette somme sans broncher mais exigea une revanche, qui eut lieu quelques jours plus tard, après le dîner, dans le jardin de son palais d’été. Une fontaine gargouillait doucement et le chant du rossignol s’élevait des haies de jasmins parfumées.
    « C’était maintenant à Parysatis de fixer un enjeu. Elle déclara que ce serait un domestique. Un domestique appartenant à l’adversaire, à l’exclusion de cinq noms, choisis parmi les serviteurs les plus fidèles et les plus appréciés de son fils et d’elle-même.
    « Parysatis les avait déjà comptés : Masabaté ne figurait pas parmi les cinq préférés du Grand Roi. Cette fois, ses dés truqués lui permirent de gagner, et lorsqu’elle exigea Masabaté, Artaxerxès comprit qu’il l’avait condamné à une mort atroce. Mais la parole d’un roi est gravée dans le bronze et ne s’efface pas.
    « La reine mère ordonna qu’on l’écorchât vif et qu’on pendît sa peau à un treillage en bois, devant lui. Puis elle le fit empaler au moyen de trois pieux croisés. Sa mort fut plus rapide que celle de Mithridatès mais peut-être tout aussi douloureuse. »
    Tout cela s’était

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