Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
L'armée perdue

L'armée perdue

Titel: L'armée perdue Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Valerio Manfredi
Vom Netzwerk:
noirs qui galopaient, ébouriffés, enveloppant les sommets dans une vapeur dense, et le tonnerre était si fort que mon cœur battait la chamade.
    Les guerriers continuaient d’avancer à un rythme régulier en s’aidant de leur lance. Ils avaient baissé leur casque sur leur visage, et leurs armures jetaient, à chaque éclair, des éclats éblouissants. Ceux qui avaient un cheval le tenaient par les rênes et le guidaient dans les passages difficiles, essayant de le calmer lorsqu’il se dérobait.
    Je me retournai et constatai que la fille enceinte s’affaiblissait de plus en plus ; je comptais les pas qui la séparaient du renoncement. Elle était maigre et hâve, blême, et son ventre paraissait d’autant plus gros et lourd. Toute la chaleur que son corps conservait se concentrait autour de son bébé, mais il aurait bientôt froid, lui aussi, et ce serait la fin. Elle chancelait, glissait, et sa fragilité tranchait avec la démarche puissante des guerriers couverts de bronze. Chaque fois qu’elle tombait, elle mettait ses mains en avant pour protéger son ventre, et se blessait sur les pierres pointues. Le chemin était encore long et difficile.
    Les nuages se rapprochaient. Je me demandais quel effet cela ferait de les toucher, moi qui étais habituée depuis l’enfance à les regarder courir, petits et blancs, dans le ciel. Soudain, le sentier vira à gauche, et je vis défiler devant moi la colonne. Non loin de moi se trouvait la masse imposante de Cléanor, suivi de son cheval, de ses deux aides de camp et de deux mulets marchant l’un devant l’autre. Ils portaient sur des perches un palanquin de fortune recouvert de peaux tannées, un abri fort enviable dans ces conditions misérables.
    Quel trésor renfermait cette chaise qui avançait en oscillant au pas des mulets ? Nul doute, il ne pouvait s’agir que de Mélissa.
    Au même moment, j’entendis un cri. Un groupe de Cardouques se jetait sur notre avant-garde. Aussitôt les trompettes sonnèrent l’alarme et les guerriers se précipitèrent vers la tête de la colonne, non sans peiner sur la pente glissante. La charge des assaillants s’abattit contre leurs boucliers, se brisa sur leurs lances, et nombre d’indigènes tombèrent au premier choc. Les autres furent encerclés par nos attaquants et massacrés. La marche reprit sous la pluie battante.
    Je passai moi aussi à côté des victimes : elles gisaient sur la terre et entre les rochers. La plupart étaient entassées le long de la même ligne, les autres plus haut, tuées alors qu’elles tentaient de s’enfuir. Ces hommes hirsutes étaient vêtus de laine grossière, de bottes en cuir non tanné, et leurs seules armes étaient de grands couteaux semblables à ceux des bouchers. De pauvres gens qui défendaient leur terre et leurs familles contre des guerriers invincibles. Il leur avait fallu bien du courage pour attaquer ces êtres de bronze et de fer, sans visage, créatures chimériques engendrées par une semence qui n’avait rien d’humain. J’imaginais les pleurs des veuves et des orphelins quand on ramènerait leurs dépouilles à leurs cabanes.
    Peut-être n’avaient-ils pas compris que nous entendions seulement traverser leurs terres, que nous ne reviendrions pas : ils n’étaient pas retournés à leurs villages et ne savaient donc pas que nous nous étions contentés de prendre des victuailles. Les morts raviveraient leur haine et leur soif de vengeance, elles provoqueraient d’autres batailles et d’autres affrontements, d’autres morts et d’autres blessés. Parcourir ces contrées serait une dure épreuve car les hommes, le ciel et la terre se liguaient contre nous.
    Un peu plus tard, je vis Xéno au bout de la colonne : il protégeait l’arrière-garde de ses cavaliers à pied. Je le reconnaissais à son cimier, je me rendais compte qu’il s’exposait sans cesse et je tremblais pour lui. Puis je tournai une nouvelle fois les yeux vers la fille enceinte, accrochée à la queue du mulet. Je savais que l’animal était docile et qu’il s’était habitué à tirer ce fardeau. Mais un coup de ses redoutables sabots suffirait à faucher deux vies en un instant.
    Je me demandai quelle énergie soutenait cette fille, et je pensai à la force mystérieuse qui pousse chaque créature terrestre à lutter pour sa vie et celle de ses descendants. Je pensai aux innombrables hommes que j’avais vus expirer au cours de cette aventure, et aux rares vies que

Weitere Kostenlose Bücher