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L'armée perdue

L'armée perdue

Titel: L'armée perdue Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Valerio Manfredi
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j’avais essayé de sauver. La Mort ne pouvait certes pas remarquer mes efforts : le fossé était trop grand entre ce qu’elle avait pris et ce que je m’efforçais de lui arracher.
    Une idée m’avait traversé l’esprit, et j’y réfléchissais encore quand la tête de la colonne plongea dans le ventre du nuage qui couvrait la cime de la montagne.
    Elle disparut aussitôt.

17
    Pénétrer dans un nuage n’a rien de très étrange. De loin, les nuages semblent dotés de forme et de consistance, mais au fur et à mesure qu’on s’en rapproche, ils perdent leur apparence, se transforment en air dense, en une sorte de brume enveloppante qui atténue les sons et brouille les silhouettes. À présent, nos hommes ressemblaient à des ombres surgies de l’au-delà, et le mouvement de leurs capes paraissait aussi naturel que le bruissement des feuilles ou l’ondoiement de l’herbe sur les pentes de la montagne.
    Quand nous atteignîmes enfin la crête, nous entendîmes des cris monter de l’arrière-garde, accompagnés par le cliquètement des armes. Je fus saisie d’angoisse : comment Xéno, qui était particulièrement exposé, s’en tirerait-il face à des ennemis postés dans les bois ou dans les replis du terrain ? Le reverrais-je ?
    Devant nous, le nuage s’ouvrait, révélant un terrain encore plus escarpé, une côte rocheuse traversée d’un sentier qui montait vers le sommet. En montagne, me rendais-je compte, on ne peut jamais avoir la certitude d’être arrivé : une cime en cache souvent une autre, et ce que l’on croit très loin est parfois relativement proche. La marche de l’homme doit épouser les formes et les contours du sol, qui ne cessent de changer.
    Par chance, l’orage s’était calmé et il ne tombait plus que quelques gouttes éparses. Soudain, je remarquai avec effroi que, pour une mystérieuse raison, les hommes accéléraient le pas. Il était impossible de savoir ce qui se passait en tête ou en queue de la colonne, il importait seulement de s’adapter à l’attitude de toute l’armée, de même que les muscles du serpent participent tous aux mouvement de ses anneaux.
    Une telle accélération était étrange car le chemin se faisait de plus en plus pénible et abrupt. Nous autres femmes serions incapable de tenir le rythme. J’encourageai la fille enceinte et observai du coin de l’œil ses mouvements maladroits, les efforts qu’elle déployait pour garder l’équilibre. De temps à autre, elle laissait échapper des cris de douleur. Personne ne nous venait en aide, parce que personne ne nous voyait. Seuls les mulets que je guidais étaient précieux. Et Xéno était trop absorbé par ses devoirs de chef, trop occupé à prouver sa valeur, demeurée méconnue jusqu’au jour où nos chefs avaient été trahis et capturés, pour nous prêter main-forte. L’homme qu’on appelait avec sarcasme « l’écrivain » virevoltait maintenant à cheval avec une extrême habileté, frappait impitoyablement, tuait et blessait, attaquait et se repliait, inlassable et conscient à chacun de ses mouvements, à chaque ondoiement de son cimier, de l’effet qu’il produisait.
    Trempées et crottées, la fille enceinte et moi, en revanche, n’avions rien de beau ni de fascinant, rien qui attirât l’attention : notre survie ou notre mort importaient peu à l’armée. Cela m’irritait tant que, ayant vu un soldat pousser ma compagne et la jeter au sol dans sa course vers l’avant, je le tirai par sa cape et lui lançai : « Espèce de salaud, regarde un peu où tu mets les pieds ! Tu vois cette fille au gros ventre que tu as renversée ? Alors son sexe ne vaut plus rien, maintenant ? Il vaut encore moins qu’un crachat, et tout le monde se moque bien d’elle. Mais si une femme comme elle ne t’avait pas couvé pendant neuf mois, tu n’existerais même pas. Cours donc, maudit, cours te faire voir ! »
    À mon grand étonnement, j’avais prononcé des mots dont la seule pensée m’aurait fait rougir en temps normal, mais l’homme s’immobilisa et ôta son casque, découvrant deux rangées de dents éclatantes. « Si nous ne courons pas, nous mourrons, jeune fille. Nous courons parce qu’il est nécessaire d’arriver quelque part au plus vite. Quand nous aurons atteint notre but, je viendrai vous donner un coup de main, si je suis encore en vie. Essayez de résister. »
    Je n’en croyais ni mes yeux ni mes oreilles : ce jeune homme n’était autre

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