L'armée perdue
difficile de la contredire.
« Écoute-moi bien. Tu vas manger et dormir. Installe-toi sous ce surplomb rocheux de façon à ne pas être mouillée s’il devait pleuvoir. On ne sait jamais. »
La fille s’attaqua à ses vivres sans que j’eusse besoin de le répéter.
« Le plus dur nous attend demain. Si nous parvenons à nous en tirer, nous serons plus tranquilles. Tu devras veiller sur toi, car personne ne nous prêtera main-forte. Ne lâche pas un instant la queue du mulet. Si cela devait arriver, appelle-moi, et j’essaierai de te donner un coup de main. Mais il n’est pas certain que je sois en état de le faire. »
Lystra posa sur moi un regard de bête apeurée.
« Rien ne dit que nous mourrons, poursuivis-je. Mais ne compte sur personne, pas même sur moi. C’est compris ?
— C’est compris. »
Je lui tendis un autre morceau de pain. Il était vieux et dur, mais c’était du pain.
« Garde-le pour demain et ne le mange que si tu ne peux pas t’en passer. Le pire peut toujours arriver. C’est compris ?
— C’est compris.
— Et maintenant, va te coucher. »
Je me retournai et me heurtai à une cuirasse en fer.
« Je vous ai enfin retrouvées ! J’ai été trop occupé à me battre jusqu’à présent. Mais je vois que vous vous portez bien, et j’en suis heureux. Je ne voulais pas renverser ton amie.
— Nicarque d’Arcadie. Qui l’eût cru ? C’est moi qui t’ai assisté quand tu étais sur le point de trépasser.
— Voilà pourquoi ton visage m’était familier.
— Ne te fais pas éventrer une deuxième fois, parce qu’il sera difficile de te recoudre. »
Il sourit avec son air d’adolescent qui a trop vite grandi, de héros malgré lui, et s’éloigna à la recherche de son régiment.
J’ordonnai aux domestiques de monter la tente et allumai le feu. Ce n’était pas facile car le bois était mouillé, mais dans chaque régiment certains esclaves étaient chargés de conserver des braises à l’intérieur d’une jarre dans laquelle tout le monde pouvait puiser. Je finis par obtenir une flambée qui ne dégageait pas trop de fumée et préparai un potage d’orge assaisonné d’huile d’olive. Nous en avions encore une petite réserve, que Xéno surveillait comme un précieux trésor et que j’étais censée utiliser avec la plus grande parcimonie. J’en apportai un peu à Lystra.
Il était tard quand Xéno revint. Au cours de la réunion, on avait décidé de la marche à suivre le lendemain.
Il régnait une atmosphère étrange dans le campement. Des bruits confus, des cris et des appels dans une langue inconnue parvenaient à nos oreilles. De temps en temps, de petits éboulements indiquaient qu’on nous épiait dans le noir.
Nos sentinelles étaient, elles aussi, sur le qui-vive. Elles se passaient sans cesse le mot d’ordre, diffusant une inquiétude presque palpable. Soudain, un sifflement se fit entendre, et un dard énorme se planta dans un tronc. Il aurait pu transpercer un homme de part en part.
C’est ce qui arriva un peu plus tard. Il y eut un autre sifflement, puis un hurlement. Enfin, la voix de Xanthi résonna, tel le cri d’un aigle : « Tous à l’abri ! Tous à l’abri ! »
Un vrombissement s’ensuivit, celui d’une centaine de dards. Xéno bondit sur ses pieds et me couvrit de son bouclier. Une flèche en heurta le bord, une autre atterrit sur l’ombon et fut déviée. Partout, on criait et s’interpellait dans le plus grand désordre.
Il nous fallut attendre la lumière du jour pour compter les morts et les blessés. Ils étaient fort nombreux.
Nous étions encerclés par un ennemi invisible qui, après avoir été surpris, s’était adapté à notre façon de nous battre, aux caractéristiques de nos armes, et qui réagissait avec toute la force et le courage dont il était capable.
Une dure épreuve nous attendait le lendemain. Nos hommes auraient à affronter des obstacles presque insurmontables, à se battre avec une énergie et un courage surhumains. Ils seraient contraints de se défendre jusqu’à leur dernier souffle et à leur dernière goutte de sang afin de ne pas mourir comme des animaux à l’abattoir après avoir subi les tortures les plus féroces.
Les chirurgiens s’employaient déjà à sauver nos blessés.
Libéré de son armure et de son épée, Xéno écrivait à la lumière de sa lampe.
18
Alors que nous nous couchions, nos camarades parcouraient derrière le guide
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