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L'Art Médiéval

L'Art Médiéval

Titel: L'Art Médiéval Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Élie Faure
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où les grands esprits du Moyen Âge
avaient forgé son espoir. C’est après Giotto qu’apparurent les
véritables primitifs, mais des primitifs qui n’avaient plus d’élan,
la fin d’une époque. Cette sorte d’aurore sourde qui éclairait par
le dedans les grands visages sérieux des vierges de Cimabue, leurs
grands yeux sans fond comme ceux des figures peintes sur les
sarcophages d’Égypte, les coupoles de Constantinople et les murs de
Pompéi, cette force naissante qui commençait à sculpter les crânes
plats des idoles byzantines, à soulever le chœur des élus, dans le
vent des harpes célestes, d’une vague animation, toute cette flamme
obscure de vie qui révéla soudain l’homme à lui-même dans cet
éclair d’esprit que fut Giotto, tout cela baissa d’un seul coup, ne
brilla plus qu’en lueurs hésitantes qui s’éteignaient en fumant.
Comme les artistes italiens ne pouvaient recréer le magnifique
équilibre d’âme qui avait couvert les murs d’Assise et de Padoue de
ces lignes austères où l’ordre universel s’inscrivit un moment, et
comme ils ne voyaient derrière eux que deux œuvres divines, ils
demandèrent un refuge à la plus désespérée, la seule aussi qui leur
laissât la liberté de parler à leur guise. Giotto restant
inaccessible, le cycle dantesque s’ouvrit au moment où la peste de
Toscane en justifiait les visions. À Florence, Orcagna, imagination
sévère, peintre des visages ennoblis par la méditation ou crispés
par la douleur, ne voyait plus que des foules assemblées, les yeux
au Ciel, de grandes formes priantes. Taddeo Gaddi, avec une douceur
navrée, clouait le Christ sur toutes les murailles. La Chapelle des
Espagnols se couvrait de peintures ardentes où passait un vent de
terreur, où l’estropié et le malade sortaient des bouges pour
ramper et tendre les mains. À Pise, abandonnée, dans sa décadence
politique, aux terribles Dominicains, on ne décorait plus que les
murs du cimetière, des cadavres pourris, des vers, des démons, des
supplices, une fureur de remords… Sienne s’enfonçait obstinément
dans la volonté maladive de mourir sans bouger.
    De toutes les villes italiennes, elle avait
toujours été la plus violente, la plus meurtrie par la guerre
civile, la plus fréquemment dévastée par les conflits militaires du
Nord et du Midi entre lesquels elle était prise. Elle garda la
dureté de l’âge de fer italien. Ses artistes virent Giotto, mais
sans dépasser son écorce, et sans qu’il entamât la leur. Duccio
joua vis-à-vis des peintres de Sienne le même rôle que Giotto
vis-à-vis des Florentins. Ils étaient de même âge, mais sans doute
ne surent-ils que peu de choses l’un de l’autre. En tout cas, bien
plus que Giotto, il reste enfoncé dans Byzance, qu’il anime
d’ailleurs d’une puissante et charmante expressivité. Il a au plus
haut point le don de faire vivre et remuer les foules. Elles
s’affairent, elles s’agitent, sans grands gestes, mais avec des
mouvements d’ensemble qui livrent le sens de la scène au premier
regard. Il ne soupçonne presque pas cette « composition »
sublime, qui n’est chez le grand Florentin autre chose qu’un
équilibre parfait entre l’élément moral et l’élément descriptif.
Mais il va droit au but qui est de dire son émotion devant la vie
et la mort du Seigneur exprimées par des formes vivantes, et il le
dit avec une noblesse, une tendresse, une verve, une malice même
dans la passion qui ne le cèdent guère, dans toute la peinture
italienne, qu’à celles de Giotto lui-même. Ses successeurs
immédiats, Barna, par exemple, travestissent en mélodrames
d’ailleurs ardents, et colorés, cette puissance passionnelle qui
suffirait à définir, au-delà du génie de Giotto, le génie même de
l’Italie. Tous ses héros l’ont possédée, cette âme dramatique, et
tous ses faux artistes, depuis cinq siècles, s’en sont impudemment
servi pour calomnier, aux yeux des hommes, l’idéal qu’elle leur a
si généreusement versé. Barna, Spinello Aretino défigurent l’agonie
du Moyen Âge latin, comme l’école bolonaise devait défigurer plus
tard l’agonie de sa Renaissance en déclamant en style de théâtre
les réalités spirituelles arrachées à l’inconnu par Masaccio, par
Vinci, par Michel-Ange, par Raphaël, par Titien.
    Pourtant, dans cette ville rétrograde qui
voulait, au milieu du bouleversement et de l’inquiétude des
esprits, garder ses dieux

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