L'Art Médiéval
comme elle
des esprits dont la passion ne connaissait pas d’autres bornes que
la pleine satisfaction de leur insatiable instinct. François
d’Assise aima avec l’emportement que les hommes de son époque
mettaient à tuer. S’il fut soumis à ceux dont la corruption et la
violence avaient provoqué sa venue, c’est qu’il sentit à sa douceur
une puissance invincible, capable de nettoyer et de renouveler le
monde. Mais en faisant rentrer l’esprit humain dans la nature dont
l’avait arraché le christianisme primitif, il lui restitua
l’aliment de la dignité et de la force. Son panthéisme protesta
contre le dualisme chrétien qui rend définitif le désaccord entre
la chair et l’âme et ferme brutalement l’accès des grandes
harmonies. En mourant, il se repentait d’avoir pratiqué
l’ascétisme, « offensé son frère le corps ». Parole
profonde et charmante ! Il fut en Italie, dans l’ordre du
sentiment, ce qu’Abailard avait été en France, ce que Roger Bacon
allait être en Angleterre dans l’ordre de la raison. L’humanité
païenne tout entière, qu’il lia à l’esprit du Christ, ressuscita
dans son amour de la vie universelle. Et cet amour le conduisit,
comme elle y avait conduit ses derniers penseurs, à la négation
intérieure de la propriété, c’est-à-dire à la liberté.
Il ne fit pas aux hommes de son temps les
discours de morale qui les ennuient sans les changer. Il leur dit,
avec une poésie si ardente qu’en parlant il tremblait, il riait, il
pleurait de joie, tout ce qu’il enfermait d’amour pour ce qui est
sur la terre. Il ne cessa jamais d’aimer. Il s’endormait sous les
arbres et s’éveillait au même endroit. Il appelait à lui les bêtes,
il chantait, gazouillait, sifflait avec elles, il mendiait pour
elles, et les bêtes le suivaient. Il demandait aux cigales des
conseils qu’elles lui donnaient et qu’il n’hésitait pas à suivre.
Il ignora la théologie, mais laissa cette prière :
«
Loué soit le Seigneur Dieu pour
toutes les créatures, et singulièrement pour notre frère messire le
soleil qui nous donne le jour et la lumière ! Il est beau, il
rayonne d’une grande splendeur, et il vous rend témoignage, ô mon
Dieu !
Loué soyez-vous, mon Seigneur, pour notre
sœur la lune et pour les étoiles ! Vous les avez formées dans
le ciel, brillantes et belles !
Loué soyez-vous, mon Seigneur, pour mon
frère le vent, pour l’air et le nuage et pour n’importe quel
temps ! C’est par eux que vous soutenez toutes les
créatures !
Loué soyez-vous, mon Seigneur, pour notre
sœur l’eau, qui est très utile, humble, précieuse et
chaste !
Loué soyez-vous, mon Seigneur, pour notre
frère le feu ! C’est par lui que vous éclairez la nuit, il est
beau et agréable à regarder, indomptable et fort !
Loué soyez-vous, mon Seigneur, pour notre
mère la terre qui nous porte, nous nourrit et qui produit tous les
fruits, les fleurs diaprées et les herbes ! »
Quand il mourut, les villes de l’Ombrie se
battirent autour de son cercueil pour se disputer ses os. C’est
ainsi que les hommes comprennent. Il n’importe. Cela encore,
c’était de la passion. Et il laissa dans la piété des multitudes et
l’imagination des forts une trace si resplendissante qu’elle
illumina l’Italie jusqu’à la fin de son soir. Il lui rendit l’amour
des formes, elle en a vécu quatre cents ans.
Le plus grand poète, le plus grand peintre du
Moyen Âge vinrent boire à son souvenir. Les tours, d’un élan,
jaillirent de la nef. L’une rude et touffue, traversée de flammes,
pleine d’orgues et de tonnerres, avec des nervures de fer. L’autre
calme, un rayon montant du monde sensuel pour atteindre d’un trait
à la lumière de l’esprit. Dante et Giotto. Les deux faces du Moyen
Âge. L’enfer, le paradis. Les deux faces de l’Italie surtout,
amoureuse et violente, comme elle est charmante et sauvage par ses
golfes lumineux et par ses durs rochers. C’est le premier des
grands contrastes qui se retrouveront jusqu’à la fin de sa vie
héroïque, contrastes enveloppés dans la même harmonie de passion et
d’intelligence : Masaccio et Fra Angelico, Donatello et
Gozzoli, Luca Signorelli et Ghirlandajo, Michel-Ange et Raphaël. Le
même ciel écoute monter vers ses sphères étincelantes la voix du
prophète et le chant du berger.
Giotto n’est pas un primitif, non plus que
Dante. Il est la conclusion d’un long effort. S’il
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