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L'Art Médiéval

L'Art Médiéval

Titel: L'Art Médiéval Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Élie Faure
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pour
savoir comment les attitudes de ceux qui pleurent ou agissent
autour du drame s’organisent spontanément, tous ayant le drame même
comme unique centre d’attraction. Sans effort, semble-t-il, et pour
exprimer directement et naturellement ce drame et les circonstances
de ce drame, les masses vivantes obéissent aux lois secrètes qui
président de toute éternité à l’harmonie des groupements. C’est
parce que chacun des êtres qui y sont mêlés agit selon sa fonction
sentimentale, qu’il participe à la fonction plus générale de
l’ensemble, fonction artiste, métaphysique, si l’on veut, qui
reproduit l’eurythmie mystérieuse des mondes avec une instinctive
et musicale et pourtant étroite fidélité. Auprès du vieux maître
florentin, Raphaël ne semble apercevoir que l’extérieur des gestes,
Michel-Ange donne l’impression d’un effort désespéré vers cet
équilibre parfait qui, pour Giotto, est une fonction essentielle,
Rubens paraît forcer en attitudes théâtrales le mouvement intérieur
qui ordonne et distribue, et Rembrandt rechercher quelquefois
l’effet. L’ordre que tous poursuivent avec fièvre, dans les
intuitions brusques, les tempêtes, les révoltes ou les tensions
soutenues de l’esprit, entre en Giotto avec l’émotion elle-même,
qui prend son caractère architectural et plastique dans
l’harmonieux fusionnement de la pensée et du cœur. Par là, la
« composition » de Giotto est peut-être le plus grand
miracle de la peinture. Je dis « miracle », le miracle
étant la réalisation la plus spontanée dans le geste, du désir le
plus inaccessible dans l’esprit. Ces mains qui se joignent, ces
doigts qui se crispent sur ces poitrines, ces corps qui
s’agenouillent ou se relèvent ou s’inclinent à demi ou se tiennent
droits, cet étagement progressif des formes humaines, tout
l’appareil extérieur du désespoir, de la supplication, de
l’adoration, de la prière qui constitue cette œuvre pathétique,
entre d’un flot dans l’unité de la pensée pour démontrer l’accord
définitif de nos besoins moraux et de nos besoins esthétiques. Une
puissante et entraînante mélodie emporte et berce tous les gestes
désespérés… Ce poète de la douleur avait en lui la joie des époques
vivantes où tout aboutit, se rejoint et s’accorde dans les esprits
pour le réconfort de ceux qui chercheront leurs traces quels que
soient leur foi, leur vie, et le motif de leur souffrance, et la
forme de leur espoir. Ce n’est pas Giotto qui fit l’unité de son
œuvre, c’est l’unité du temps qui le créa. Et l’Unité, qui est une
hymne, nous élève au-dessus des larmes. Giotto ne pleure pas sur le
Christ ou la femme et nous ne pleurons pas non plus. C’est une
indicible douceur, une indicible espérance. Il comprend, il se
penche, il tend une main forte, il relève celui qui est tombé, pour
le soutenir et l’entraîner il entonne un chant magnifique, et sa
grande ligne sévère ondule, monte, descend et remonte comme une
voix.
    Profondément Italien par son génie idéaliste,
dramatique et décoratif, et contenant, bien qu’il résumât un seul
moment de l’Italie, toute l’Italie qui viendrait, et jusqu’à
l’Italie déchue, Giotto communia dans l’humanité la plus générale
avec tous les héros de la peinture par la piété avec laquelle il
accueillit la vie, par le sentiment passionné qu’il eut des charges
qu’elle lui confia, par le désir divin qui lui faisait transfigurer
le monde et soutenir les bleus célestes du paradis entrouvert sur
les graves accents humains des rouges, des verts et des noirs… Son
espoir ne monta jamais plus haut que sa vaillance d’homme. Le jour
où il rassembla autour de Jésus crucifié des anges à plumes de
rayons à demi plongés dans le ciel, il retrouva le symbole suprême
qu’Eschyle avait imaginé pour fortifier notre courage, quand il vit
voler autour de Prométhée l’essaim des Océanides.

IV
    Cette œuvre est donc à elle seule un monument
social où la radieuse peinture associe les volumes sculpturaux dans
un rythme architectural. L’homme disparu, elle s’écroula très vite.
Ceux qui vinrent ne surent qu’en ramasser les débris pour élever
des édifices isolés qui n’étaient plus, dans le siècle anarchique,
que des asiles provisoires, grêles, ouverts à tous les orages, en
qui l’âme italienne inquiète et désunie ne pouvait plus trouver que
l’ombre de la certitude héroïque

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