L'Art Médiéval
bleu des dragons héraldiques sur le jaune
impérial éclaboussé de fleurs aux émaux chatoyants et troubles, des
couchers et des levers d’astres dans les nuées de poudre à la
limpidité des ciels balayés par les eaux. Il ne faut pas croire
surtout que leur architecture, bien que ses spécimens les plus
anciens, grâce à la fragilité des matériaux, ne soient pas très
antérieurs au X e siècle, manque de science et de
solidité. Pour garantir les édifices des chaleurs et des pluies,
ils savent faire pencher et déborder les toits qu’ils soutiennent
par des combinaisons de charpentes démontables puissantes et
légères comme des créations naturelles. Ils savent surtout, comme
les Romains, et avec tous les vieux peuples de l’énorme continent
massif où alternent les grands sommets, les grands déserts, les
grandes forêts, les grands fleuves, donner à leurs édifices
utilitaires, ponts, portes triomphales, arches géantes, remparts
crénelés, murailles immenses fermant les plaines et gravissant les
montagnes, cette allure aérienne ou lourde, mais toujours grandiose
et ferme comme le piédestal où poser notre certitude d’avoir
accompli tout notre effort. Comme les vieux sculpteurs de la vallée
du Nil, ils ont animé le désert d’avenues de colosses, d’un modelé
si vaste et si sommaire qu’ils paraissent être présents de toute
éternité au milieu des solitudes et résumer en leur structure
ramassée les ondulations des sables jusqu’aux contreforts des monts
et la sphéricité du ciel sur le cercle des plaines.
IV
Si la Chine n’avait pas fait la tentative
étrange de tailler sur les parois du temple de Hiao-tang chan, vers
l’époque où Marc-Aurèle lui envoyait des ambassades, les
silhouettes plates qui ressemblent à des ombres sur un mur, si
d’autre part on ne commençait à connaître quelques figures
archaïques qui remontent au commencement de notre ère au moins, on
pourrait croire, et on a cru longtemps, qu’elle ne sculpta pas une
pierre avant que les conquérants des provinces du Nord lui aient
apporté, au V e siècle, la contagion morale de la
religion du Bouddha. Ici, comme aux Indes, le flot qui montait des
cœurs pleins d’espérance, creusa les montagnes et submergea les
rochers. Quand il se retira, des figures colossales, de purs
visages aux yeux baissés, des géants assis, les deux mains croisées
et ouvertes, des processions puissantes sur qui l’on secouait des
palmes et des éventails, dix mille dieux souriants, silencieux et
doux habitaient dans les ténèbres. Les falaises, du haut en bas,
étaient sculptées, toutes les fentes du roc avaient des parois
vivantes, le rayonnement de l’esprit tombait des piliers et des
voûtes attaqués au hasard des saillies et des creux. Cent
sculpteurs travaillaient dans l’ombre à modeler brièvement la même
statue gigantesque, et telle était l’unité et la puissance de
l’énergie créatrice qui les animait, que le monstre divin semblait
sortir de deux mains, d’une intelligence, être comme un long cri
d’amour qu’une seule poitrine prolongeait à travers les temps. Et
c’est peut-être là que la sculpture bouddhique atteignit
l’expression suprême d’une science de la lumière qui ne ressemble à
rien de ce qu’on trouve même chez les plus grands sculpteurs. La
lumière ne paraît pas se confondre, comme en Égypte par exemple,
avec les plans de la statue pour en subtiliser les passages et les
profils. On dirait qu’elle flotte autour d’elle. La forme semble
nager, onduler sous la lumière, comme une vague qui passe sans
commencement et sans fin. Mais ceci est spécifiquement bouddhique,
commun à cette École des conquérants du Nord, aux statuaires des
Indes et de la Corée, du Japon et du Cambodge, du Thibet et de
Java. Commun à toute cette étrange statuaire internationale
bouddhique, où l’influence grecque est toujours manifeste dans la
pureté nerveuse des profils occidentalisés, l’harmonie des
proportions, l’objectivisme résumé et idéalisé par l’intelligence.
La Chine proprement dite ne participa guère à l’acte de foi
qu’affirmait sur son territoire l’envahisseur venu des plateaux de
l’Asie centrale. Elle ne consentit sans doute que pour une heure à
s’abandonner à l’illusion suprême des paradis promis. Le peuple le
plus réfléchi, mais peut-être à cause de cela, le moins idéaliste
de l’histoire, n’avait cédé qu’à contre-cœur à
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