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L'Art Médiéval

L'Art Médiéval

Titel: L'Art Médiéval Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Élie Faure
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presque noires où se suivent des
voiles blanches, leurs rafales de pluie emportant les oiseaux,
courbant les cimes des arbres, la poésie de leurs nuits bleues
pleines de rameaux en fleurs, et leurs lacs éclairés par des feux
d’artifice et les lanternes qui dansent au-dessus des ponts de bois
et leurs barques surchargées où jouent des musiciens ? Comment
aurions-nous assimilé, sans le pur Outamaro qui fréquentait les
courtisanes et s’arrêtait au seuil des maisons pour voir les mères
donner le sein à leurs petits, et sans le tranchant Toyokouni,
commensal des comédiens, et sans Shiounsho qui répandait les
couleurs sur l’estampe comme des rivières de fleurs, et sans
Kiyonaga, amoureux contenu des longues formes féminines, épris des
jambes, des poitrines, des épaules, des bras nus qu’on entrevoit
parmi les harmonies discrètes des kimonos de soie et des intérieurs
effacés, et sans Harounobou autour de qui les femmes, roseaux
fleuris, enchantaient la terre, et sans l’infini Hokusaï, comment
aurions-nous assimilé la valeur des lignes qui symbolisent, hors de
toute perspective scientifique, par leur seule force expressive, la
succession des plans dans l’espace illimité ? Comment
n’aurions-nous pas oublié qu’ils ne connaissaient plus les modelés
de Sesshiu, de Motonobou et de Kôrin quand, pour l’ivresse de nos
yeux, leurs teintes plates secouaient devant nous les plis et les
revers des robes et déployaient leurs sonorités orchestrales comme
on découvre, d’une hauteur d’où les creux et les saillies
s’effacent, les parterres d’un grand jardin ?
    Ils ont brodé de fleurs vertes ou bleues, de
fleurs de flamme, de feuilles rouges, de feuilles d’or, leurs robes
où l’aube grandit, où le jour baisse, où tout le sang des veines
est répandu, et toute la neige embrasée des montagnes, et les nuées
de feu errant dans les crépuscules, et les champs voilés
d’incarnat, de mauve et d’azur, et les fruits dont la peau
duveteuse se trouble en mûrissant, et les pluies silencieuses des
glycines sur l’eau dormante et le brouillard rose et blanc des
arbres fruitiers en fleurs. Ils ont jeté sur elles, avec le vent,
des vols d’oiseaux éperdus, ils ont tordu dans leurs replis des
chimères convulsives, ils ont ouvert des paysages où les feuilles
et l’eau murmurent dans la soie froissée, et déployé comme au
travers des frondaisons d’automne, les multiples soleils des
chrysanthèmes impériaux. Leurs noirs, ces noirs profonds, ces noirs
absolus qu’ils y mêlent presque toujours, par les raies ou les pois
des étoffes, par les coiffures étagées, par les arabesques grasses
des puissants idéogrammes, leurs noirs sont l’accompagnement sourd
sur qui les mélodies violentes hurlent le drame et s’apaisent et
retentissent pour mourir… Quand les femmes défilent sur les
estampes du Nippon, nous ne savons pas bien si c’est l’été ou
l’automne ou l’hiver traversés qui font pleuvoir sur leurs kimonos
de soie leurs fleurs, leurs feuilles mortes ou leurs flocons
tourbillonnants, ou si c’est la marche même de ces créatures
lointaines qui répand autour d’elles l’hiver ou l’automne ou l’été.
Tout chante quand elles arrivent, même le meurtre. Le paysage leur
répond, le paysage aux branches roses dont les pétales vont neiger,
le paysage où les fleurs résistent aux gelées, le paysage des ciels
limpides au-dessus des mers sereines, le paysage nocturne où des
femmes, jardins errants, passent sur des fonds uniformément
noirs.
    La sève du Japon, en ces millions de feuilles
envolées, pleuvait en gouttes de plus en plus serrées, mais
s’éloignant de plus en plus de ses racines. Il était fermé depuis
deux cents ans, sourd aux voix du dehors, et les voix du dedans se
heurtaient à des parois infranchissables. Trop longtemps privée de
l’échange, qui est la vie, impuissante à se renouveler, son âme se
rétractait, s’énervait, se perdait peu à peu dans le détail et
l’anecdote. Il faut l’avouer. L’art des XVIII e et
XIX e siècles, malgré son jaillissement profus et sa
verve et sa vie, semble un peu grêle et tourmenté, fébrile,
caricatural, près de celui des âges précédents. Le grand Hokusaï
lui-même, le poète protée, l’homme aux cent noms qui remplit de sa
pensée plus de cinq cents volumes, en couvrit vingt mille estampes,
« le vieillard fou de dessin », le vagabond distrait qui
couronna l’art populaire et

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