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L'Art Médiéval

L'Art Médiéval

Titel: L'Art Médiéval Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Élie Faure
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depuis dix siècles, que de sèches
images, une maigre nature émaciée, comprimée, souffrante comme lui.
De longues et plates figures qui tentaient, dans un tragique
effort, de briser la gangue byzantine, se plaquaient aux façades
neuves, exprimant mécaniquement un symbolisme arrêté. Ceux qui
seuls, à ce moment-là, gardaient le droit d’exprimer la forme et la
vie, étaient précisément les héritiers et les dépositaires de mille
années théologiques qui n’avaient cessé de voir et de condamner,
dans la forme et la vie, de méprisables apparences. Le peuple,
écrasé depuis le même temps entre l’invasion matérielle des
barbares et l’invasion morale du christianisme, s’était abandonné,
dans l’espoir promis d’une vie future, aux hasards de la vie
présente et ne trouvait plus, quand il fuyait la dévastation des
campagnes, que le refuge intérieur des sentiments surnaturels.
    Mais malgré tout, et contre l’existence et
contre l’idéal qu’ils avaient acceptés, les moines artistes
exprimaient, dans ces sculptures primitives qui envahissaient les
porches des églises d’une foule de plus en plus drue, les premiers
tressaillements des besoins de leur époque. Une force singulière y
montait très vite, en végétations serrées de formes frustes où
circulait quelque chose de la savoureuse énergie qui soulevait aux
mêmes siècles la pierre travaillée des pyramides dravidiennes et
des temples cambodgiens. Un rythme sourd, un rythme lourd et
vigoureux comme celui qui pousse hors du sol, par bourgeonnements
épais, la marée printanière, parcourait ces figures rudes, ces
têtes et ces corps à peine équarris qui se levaient d’un mouvement.
Une grâce puissante, un charme candide et robuste hésitaient dans
la pierre même. Des plans drus définissaient les mouvements
élémentaires qui inclinent la face vers la face et tendent la main
vers la main, comme pour obéir à la musique silencieuse qui groupe
les nombres en constructions et en figures selon l’apparence
sommaire, mais essentielle, qui les révèle à notre émoi. Expression
fruste, mais ardente, rencontre dramatique du symbolisme chrétien à
sa plus haute tension et du réalisme populaire à sa plus innocente
aurore. La poitrine du monde se dilatait avec lenteur, d’un effort
irrésistible qui devait briser son armure. Plus d’invasion depuis
un siècle ou deux. Né de la guerre et vivant d’elle, le féodal la
porte au dehors. Les Gaules, vers qui les chefs militaires depuis
tant d’années menaient leurs hordes, devinrent le foyer central
d’expansion de la conquête. Au déclin du XI e siècle,
celui-là même où l’église romane laissait la vie comprimée crever
de partout son écorce, les barons normands passaient en Sicile, en
Angleterre, et la première Croisade précipitait les barons français
vers les lieux saints. La brutalité féodale émigra pour deux cents
ans.

III
    Alors le sol natal que ne connaissaient plus
les peuples depuis qu’une rafale humaine en arrachait, à chaque
génération, les racines qu’ils y plongeaient, le sol natal monta au
cœur des races. En même temps, le mouvement profond qui jetait sur
l’Orient riche l’Occident mystique et misérable, faisait refluer
sur l’Occident la vie des contrées merveilleuses, d’autres
croyances, d’autres légendes, d’autres mœurs, et la sensation
puissante et confuse que le monde matériel et le monde de l’âme
s’élargissent en changeant d’apparences et que l’univers ne tient
pas dans les limites d’une religion révélée.
    La terre frémit d’orgueil. Presque à la même
heure apparaissent la République de Florence, les Universités de
Salerne, de Bologne, de Paris. Au sein même de l’Église naissent
des esprits plus religieux qu’elle qui soumettent le dogme à un
examen courageux. Abailard, chrétien, nie le péché originel,
conteste la divinité de Jésus, relève la dignité des sens et tente
d’établir, de l’Antiquité au Moyen Âge, par l’étude impartiale de
la philosophie ancienne et de la doctrine des Pères, l’unité de
l’esprit humain. Quatre ans après sa mort, son disciple Arnaldo de
Brescia proclame la République à Rome. Une telle vie anime les
cœurs que le catholicisme, entraîné par elle, discute, interprète,
critique, et que la lettre morte recule devant le vivant esprit.
Pour la première et la dernière fois dans son histoire, il suit ce
mouvement profond qui révèle de temps à

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